Durant deux semaines, à partir du 2 octobre 2013, les hauts dirigeants chinois Xi Jinping et Li Keqiang ont effectué à tour de rôle des visites qualifiées de « prestigieuses » pour l'ASEAN. Durant sa tournée, le président Xi Jinping a visité l'Indonésie et la Malaisie et a participé au sommet informel de l'APEC tenu à Bali. Quant au premier ministre, il s'est rendu à Brunei, a participé aux réunions des dirigeants « 10 + 3 » et « l0 + 1 » et a prononcé un discours inaugural au sommet de l'Asie de l'Est, avant de visiter la Thaïlande et le Vietnam. La nouvelle stratégie concernant l'ASEAN est ainsi illustrée sur l'échiquier diplomatique depuis la prise de fonction de la nouvelle équipe dirigeante chinoise. Après plusieurs années de différends entre la Chine et l'ASEAN sur la mer de Chine méridionale, les dirigeants chinois montrent au monde avec sincérité, amitié et coopération que les dissensions à propos des questions de souveraineté sur les îles Nansha ne peuvent arrêter les liens étroits entre la Chine et l'ASEAN et que les deux parties ont la détermination de faire de la mer de Chine méridionale une « mer de paix et d'amitié ».
Relation Chine-ASEAN : pierre angulaire de la prospérité et de la stabilité en Asie
Beijing a de bonnes raisons d'accorder une grande importance aux relations avec l'ASEAN et de les améliorer. Bien qu'aucun membre de l'ASEAN ne soit un grand pays, la nature des relations de la Chine avec cette organisation revêt une dimension stratégique croissante, essentiellement pour la Chine, pays émergent. Le caractère de ces relations déterminera dans une large mesure si la Chine peut jouer un rôle de « leader » dans la région Asie-Pacifique.
Sur le plan économique et commercial, le volume des échanges bilatéraux n'était que de 78,2 milliards de dollars en 2002, année où la Chine et l'ASEAN venaient d'établir leur zone de libre-échange, mais ce chiffre a atteint 400,1 milliards de dollars en 2012, soit 5,1 fois plus qu'il y a dix ans. Dans les huit premiers mois de cette année, le commerce bilatéral a atteint 284,3 milliards de dollars, soit une augmentation de 12,5 % par rapport à la même période de l'année dernière. L'ASEAN est devenue le troisième partenaire commercial de la Chine, après l'Union Européenne et les États-Unis. Elle constitue également un pôle important pour les investissements chinois à l'étranger, et le montant de ceux-ci y est passé de 33,2 milliards de dollars en 2003 à plus de 100 milliards en 2012 ; un tiers des investissements chinois à l'étranger se concentrent dans les pays de l'ASEAN. En 2002, les mouvements de personnes entre les deux entités étaient de 3,87 millions, et ce chiffre a atteint 15 millions en 2012, soit près de quatre fois plus qu'il y a 10 ans. Les progrès des relations entre la Chine et l'ASEAN sont particulièrement tangibles sur le plan de l'intégration économique de la région Asie-Pacifique. Depuis le lancement de la zone de libre-échange Chine-ASEAN le ler janvier 2010, le commerce bilatéral a connu une croissance rapide, et d'importants progrès ont été enregistrés dans le commerce des services, le règlement des transactions en monnaie locale et l'échange de devises. Actuellement, alors que les États-Unis poursuivent le TPP (Partenariat Trans-Pacifique), la Chine travaille sur le RCEP (l'Accord de Partenariat économique intégral régional), un système regroupant plus de membres sur la base du FTA (l'Accord de libre-échange). Beijing a proposé comme objectif d'achever les négociations du RCEP en 2015. Le RCEP et le TPP représentent les processus d'intégration régionaux dans lesquels les États-Unis et la Chine jouent respectivement le rôle majeur. Sans le soutien des pays de l'ASEAN, ce plan ambitieux du RCEP ne pourra pas se réaliser.
Sur les plans diplomatiques, sécuritaires et stratégiques, les positions divergentes de la Chine avec l'ASEAN à propos des différends territoriaux en mer de Chine méridionale joueront également un rôle prépondérant dans les relations concurrentielles stratégiques à long terme entre les grands pays de cette région. Les deux parties ont en particulier convenu de négocier sur le COC (Code de conduite en mer de Chine méridionale), visant à concrétiser le DOC (Déclaration sur la conduite des parties en mer de Chine méridionale), afin de garantir la position et le rôle de l'ASEAN sur la question des litiges dans cette zone. Si la Chine et l'ASEAN ne peuvent parvenir à de nouveaux compromis diplomatiques et à un consensus politique sur la question de la mer de Chine méridionale, cette dernière serait à tout moment utilisée stratégiquement par les États-Unis et le Japon pour diviser les relations Chine-ASEAN et affaiblir l'influence régionale de la Chine. Pour faire court, si le différend en mer de Chine méridionale perdure, il sera difficile pour l'ASEAN d'« embrasser » la Chine politiquement. Sans la compréhension et l'accueil d'une Chine émergente par l'ASEAN, les perspectives géopolitiques de Beijing dans l'Asie de l'Est connaîtront difficilement une amélioration substantielle.
Les visites de Xi Jinping et Li Keqiang dans les pays de l'ASEAN montrent que les relations avec cette organisation sont devenues une priorité diplomatique régionale pour Beijing. Pour la Chine, le resserrement des liens politiques avec l'ASEAN et l'approfondissement du processus d'intégration économique avec elle aboutiraient vraiment à une issue gagnant-gagnant en ce qui concerne les différends territoriaux en mer de Chine méridionale et les tensions géopolitiques croissantes entre grands pays.
Voisins s'entraidant
Les visites des deux dirigeants chinois s'inscrivent dans la continuité de la ligne poursuivie par la Chine à l'égard de l'ASEAN depuis près de 10 ans, soit « le bon voisinage, en faveur de la prospérité et de la stabilité entre pays voisins ». Mais cela ne veut pas dire « tout miser sur l'économie », mais élever tous azimuts le partenariat de la Chine avec l'ASEAN.
Lors des visites du président Xi Jinping en Indonésie et en Malaisie, la Chine et ces pays ont annoncé faire évoluer leur partenariat stratégique vers un partenariat stratégique global. Dans son discours prononcé le 3 octobre au parlement indonésien, M. Xi a proposé que les deux pays construisent ensemble une « Route de la Soie maritime », en ajoutant que la Chine était prête à investir dans la création d'une banque d'investissement pour les infrastructures en Asie de l'Est afin de promouvoir le nouveau développement de l'interconnexion entre la Chine et l'Indonésie et entre la Chine et l'ASEAN. Lors de sa visite en Malaisie, les deux chefs d'État ont annoncé l'objectif d'augmenter le volume du commerce sino-malais à 160 milliards de dollars en 2017.
Quant au premier ministre chinois, en participant à la réunion des dirigeants de la Chine et de l'ASEAN le 9 octobre, il a proposé le cadre de coopération « 2+7 ». Le point essentiel de ce cadre : sur la base de la confiance mutuelle et du gagnant-gagnant, actualiser tous azimuts l'accord de zone de libre-échange démarré par la Chine et l'ASEAN en 2010 pour promouvoir l'intégration économique Chine-ASEAN axée sur le RCEP, ainsi que l'interconnexion et la libéralisation des services d'investissement. Li Keqiang a également promu les chemins de fer à grande vitesse chinois en Thaïlande, les équipements mécaniques et électriques à Brunei et les projets d'infrastructure chinois au Vietnam. Le premier ministre chinois a profité de ces visites officielles pour largement présenter les produits technologiques chinois et a appelé à plus d'échanges culturels et humains pour intensifier les liens entre les peuples de la Chine et de l'ASEAN. Aujourd'hui, les relations entre la Chine et l'ASEAN sont beaucoup plus caractérisées par l'entraide entre voisins.
De plus, les dirigeants chinois ont expliqué avec franchise le plan du gouvernement concernant la politique intérieure du pays, transmettant aux pays de l'ASEAN la confiance et la détermination de la Chine à maintenir une croissance élevée dans le cadre du contrôle positif et de la réforme. Lors de la réunion des dirigeants économiques de l'APEC, tenue le 7 octobre en Indonésie, le président Xi Jinping a déclaré : « La Chine est en train d'élaborer un programme général pour l'approfondissement global de la réforme. L'essentiel est de promouvoir de manière coordonnée les réformes dans les domaines économique, politique, culturel, social et écologique, afin d'œuvrer à la résolution des problèmes qui se posent au cours du développement et d'éliminer les obstacles institutionnels à un développement économique sain et durable. Ainsi a été transmis ce message important concernant la troisième session plénière du XVIIIe Comité central du PCC : la Chine entre dans l'ère de l'approfondissement global de la réforme. Le président chinois a par la suite appelé les membres de l'APEC, y compris les pays de l'ASEAN, à se soutenir au lieu de se piétiner. La zone économique Asie-Pacifique se doit de conduire l'économie mondiale vers un nouveau cycle de croissance.
Le premier ministre Li Keqiang et son homologue thaïlandais Yingluck Shinawatra ont conclu un accord sur un projet de construction de chemin de fer à grande vitesse en Thaïlande. Comme une partie des frais de construction pourra être troquée contre des produits agricoles, ce projet est surnommé « riz contre chemin de fer à grande vitesse ». Au Vietnam, Li Keqiang et son homologue vietnamien Nguyen Tan Dung sont parvenus à trois consensus sur le développement des relations bilatérales : la mise en place d'un groupe de travail pour explorer les pistes pour l'exploitation commune des ressources en baie de Beibu, la mise en place d'un groupe de travail sur la coopération pour la construction d'infrastructures terrestres, ainsi que la mise en place d'un groupe de travail concernant les secteurs monétaires et financiers. Ces trois consensus démontrent la nouvelle dimension qu'ont atteinte les relations entre les deux pays, et ce grâce à la confiance politique et la coopération économique de ces dernières années. Les nouveaux efforts des deux premiers ministres, pragmatiques mais passionnés, ont balayé presque tous les nuages planants sur les différends à propos des îles de la mer de Chine méridionale qui obscurcissaient les relations bilatérales.
Les Chinois disent « un voisin proche vaut mieux qu'un parent éloigné ». L'histoire des relations entre la Chine, la Thaïlande et le Vietnam a été marquée par une relation intime. L'entraide entre voisins, afin d'avancer main dans la main, représente le resserrement des liens entre la Chine et les pays de l'ASEAN, a conclu M. Li.
« Des baguettes liées sont moins faciles à briser »
Lors de leurs tournées en Asie du Sud-Est, les dirigeants chinois n'ont, cette fois-ci, pas éludé les différends entre la Chine et certains pays de l'ASEAN sur les îles de la mer de Chine méridionale, ni les craintes des autres pays quant à l'expansion stratégique que la Chine ferait en cette même mer de Chine méridionale, avec la montée de sa puissance. Ils ont cité les faits, souligné la coopération et l'union pour réduire et dissiper les doutes. Contrairement au gouvernement Abe au Japon, qui a critiqué le développement militaire de la Chine à différentes occasions lors de réunions bilatérales et multilatérales et a accusé la Chine de provoquer des « tensions de sécurité maritime », les dirigeants chinois recherchent activement le consensus et des solutions avec pragmatisme.
Le président chinois Xi Jinping a déclaré au sommet de l'APEC que la paix, la stabilité et la prospérité continuent de constituer les trois caractéristiques de la région Asie-Pacifique et qu'à cette fin, obtenir une croissance économique ouverte, inclusive et rapide est la préoccupation majeure des peuples de la région. Le premier ministre Li Keqiang a commenté sans ambages les craintes sur la question de la mer de Chine méridionale. Au lieu de nier l'existence des différends, il a souligné que les pays de la région devaient assumer une responsabilité partagée pour la stabilité régionale et la résolution des différends. M. Li a également mis en avant une proposition constructive : établir un cadre de coopération sur la sécurité régionale correspondant aux caractéristiques de l'Asie de l'Est. Ce cadre n'est pas basé sur des blocs militaires exclusifs, et n'exagère pas certaines menaces particulières, mais il met l'accent sur les accords bilatéraux et multilatéraux pour la promotion de la coopération régionale et la confiance stratégique.
Lors de sa visite à Brunei, Li Keqiang et son homologue ont signé une déclaration visant à maintenir conjointement la stabilité et la prospérité régionale, soulignant que tous les conflits au sein de la région devaient être résolus par des moyens diplomatiques à travers le dialogue et la coopération. À Hanoi, les premiers ministres des deux pays ont signé une déclaration conjointe sur la résolution par étapes du différend territorial en mer de Chine méridionale. Le premier ministre chinois a affirmé avec confiance que le différend en mer de Chine méridionale était le seul problème à résoudre dans les relations sino-vietnamiennes, qui ont connu des hauts et des bas depuis la fin de la guerre froide.
Lors de la réunion des dirigeants « ASEAN +3 », le premier ministre chinois a prononcé des paroles solennelles mais emplies de sentiments, en disant que les Asiatiques savaient manier les baguettes, et que si une baguette est facile à briser, des baguettes liées sont difficiles à briser. Cette comparaison fait référence à l'importance de l'unité des pays de l'Asie de l'Est. La croissance économique en Asie de l'Est est aujourd'hui la plus rapide au monde, mais il y existe une grande incertitude en ce qui concerne la sécurité régionale. Le centre de gravité économique mondial est souvent également son centre géostratégique, c'est une loi objective de l'histoire des relations internationales. Cependant, si les pays d'Asie orientale peuvent vraiment s'unir tels des baguettes liées, il n'y aura aucun problème de sécurité régionale qui ne pourra être résolu.
*ZHU FENG est directeur adjoint de l'institut des stratégies internationales de l'université de Beijing.
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