La perspective artistique enrichit les recherches sur les relations internationales
2023-02-22 15:20:00
Yan Zhanyu

En 2001, Roland Bleiker, professeur de relations internationales à l'université du Queensland en Australie, a publié un essai intitulé "The Aesthetic Turn in International Political Theory" in Millennium : Journal of International Studies. Cette étude a marqué le début des explorations théoriques conscientes du monde universitaire sur la recherche interdisciplinaire de l'art et des relations internationales.

Au cours des deux décennies qui ont suivi la publication de Bleiker, le "mariage" de ces deux domaines a progressivement gagné en importance, alors qu'il était auparavant marginalisé. Actuellement, la recherche s'est étendue des questions culturelles et diplomatiques à des sujets concrets tels que la culture populaire, les images visuelles, les symboles et la littérature. Parallèlement, la pensée artistique est entrée dans le champ de recherche des relations internationales, devenant une mentalité alternative au positivisme.

Ainsi, clarifier la connotation et les caractéristiques de la perspective artistique dans les relations internationales, saisir ses principales fonctions et sa valeur, et examiner les problèmes potentiels permettent de comprendre l'objectif et l'orientation du champ de recherche interdisciplinaire.

La connotation et les caractéristiques

La perspective artistique dans les relations internationales consiste à s'inspirer du modèle de pensée, des outils et des méthodes, ainsi que des stratégies esthétiques de l'art en tant que discipline, afin de stimuler au maximum l'imagination et la créativité des chercheurs. Tout en ajoutant du plaisir à la recherche, elle élargit l'horizon académique et apporte une touche humaniste aux relations internationales.

La perspective artistique met l'accent sur les qualités artistiques, telles que la sensibilité, l'insaisissabilité, l'intuition, la créativité et l'imagination, tout en essayant d'intégrer les approches théoriques de la création et de l'évaluation artistiques dans le processus de recherche. En fait, nous pouvons interpréter ce domaine comme une compréhension, une perception et une expérience des relations internationales avec les yeux d'un artiste.

Plus précisément, la perspective artistique dans les relations internationales présente trois caractéristiques. Premièrement, la pensée artistique et la pensée scientifique ne sont ni antagonistes ni subordonnées l'une à l'autre. D'une part, l'esprit artistique et l'esprit scientifique ne sont pas contradictoires. En particulier lorsqu'il s'agit d'appréhender la construction de concepts, la pensée artistique génère des aperçus plus sensibles des aspects non techniques tels que les émotions et les expériences, ce qui compense les faiblesses de la pensée scientifique. Nous ne pouvons pas assimiler l'affirmation selon laquelle "l'art met l'accent sur la sensibilité tandis que la science met l'accent sur la rationalité" à un antagonisme entre l'art et la science ou à une tension entre l'imagerie et la logique.

D'autre part, la pensée artistique n'est pas secondaire par rapport à la pensée scientifique. Encourager la pensée artistique ne signifie pas concevoir un ensemble de théories artistiques alternatives pour les relations internationales, car la construction d'une théorie artistique des relations internationales en utilisant les normes théoriques des sciences sociales incorporera de force les relations internationales artistiques dans les relations internationales scientifiques, ce qui n'est ni réaliste ni gratifiant.

Deuxièmement, la perspective artistique s'intéresse aux expressions esthétiques des phénomènes dans les relations internationales. L'art est une source importante d'imagination et de créativité dans les relations internationales. Contrairement à la recherche traditionnelle sur les relations internationales, qui accorde plus d'importance aux domaines de haut niveau, tels que la sécurité et l'économie, l'imagination artistique nous permet d'observer les relations internationales sous des angles moins élevés mais plus réels.

L'orientation artistique de la politique et l'orientation politique de l'art sont des processus clés pour comprendre les expressions esthétiques. La première se réfère à l'emballage d'intentions politiques dans des formes artistiques pour les rendre esthétiquement attrayantes, comme l'embellissement d'attitudes hostiles, d'exigences d'indépendance et d'exclusion, par le biais du cinéma, du théatre, de la musique et de l'architecture. L'orientation politique de l'art signifie que l'art n'est pas du tout un outil permettant d'atteindre des objectifs politiques. La signification politique des œvres d'art concernées l'emporte de loin sur la valeur esthétique qui leur reste, si tant est qu'elles en aient une.

Troisièmement, la perspective artistique dans les relations internationales valorise la réflexion et la critique du cours de la politique mondiale. En tant qu'outil critique, l'art peut interférer de manière proactive avec les processus politiques, en révélant les modèles de représentation des événements politiques sous l'influence du pouvoir, dévoilant ainsi diverses perspectives d'interprétation des événements.

Dans les relations internationales, l'art peut être considéré comme une politique visuelle. Il n'est pas seulement un instrument de résistance, mais aussi un refuge. L'une des taches de la perspective artistique est de traduire les différentes expériences artistiques en matériaux pour la recherche sur les relations internationales.

Les fonctions et la valeur

Lors de l'examen des questions liées aux relations internationales, la perspective artistique remplit trois fonctions précieuses.

La première fonction est la perception. Grace à l'art, les chercheurs peuvent percevoir les phénomènes politiques de la vie quotidienne de différents points de vue et trouver de multiples voies pour comprendre les événements politiques. Les comportements artistiques sont un moyen crucial d'expression politique. Les gens expriment leurs idées politiques par des graffitis de rue, des satires politiques, des dessins humoristiques, etc. En tant que "spectateur", l'art témoigne de l'anxiété que les gens manifestent dans les processus politiques.

En outre, les événements politiques peuvent être interprétés de différentes manières à travers le prisme de l'art. La clé de la perspective artistique réside dans la découverte de ce qui est caché et dans la recherche de nouveaux angles d'observation, plutôt que de nouveaux faits. Elle peut aider à transcender la certitude de la réalité empirique et à restaurer les événements constatés pour les décomposer en différentes occasions lorsque les événements sont présentés, joués et commentés.

Deuxièmement, l'art a une fonction d'interférence. Il peut servir d'outil critique pour intervenir de manière proactive dans les processus politiques, en révélant le mécanisme de représentation des événements du pouvoir, réalisant ainsi des expressions politiques et ayant même un impact sur les processus politiques. Dans le cadre de la construction mutuelle entre l'art et le concept de souveraineté, certaines œuvres d'art ont en fait été impliquées dans des relations de pouvoir internationales complexes, bien qu'elles semblent être des expériences esthétiques sans rapport avec la politique. Ces œuvres sont en accord ou en désaccord avec les récits de souveraineté qui sous-tendent l'art, et reflètent les stéréotypes dominants concernant les différentes races, cultures et civilisations dans le contexte de la mondialisation. Les points de vue et les approches de l'art dans les relations internationales sont utiles pour dissiper les mythes de ce type et découvrir les nombreux facteurs d'influence et mécanismes explicatifs potentiels qui ont été négligés par le positivisme.

La troisième est la fonction de formation. L'art lui-même joue un rôle dans les interactions internationales. Contrairement à l'art traditionnel, l'art contemporain s'est développé dans un format interactif. Cela signifie que les expériences personnelles ne sont plus la seule source d'inspiration pour la création artistique. Les expériences quotidiennes des masses, y compris des artistes, fournissent également du matériel pour la création artistique et des objets de réflexion.

En effet, l'immersion des individus dans la culture du monde de l'art est, en soi, une expérience profonde de socialisation. Aujourd'hui, l'art est devenu un canal de communication verbale et de consultation. Son intersubjectivité a dépassé la subjectivité. De nombreux artistes d'avant-garde sont également des activistes politiques, de sorte que les chercheurs doivent non seulement tenir compte des motifs esthétiques des artistes, mais aussi les considérer comme des sources fondamentales pour la compréhension des relations internationales.

Les questions potentielles

Pour étendre la perspective artistique aux relations internationales, nous pouvons explorer au moins trois questions.

La première est la question de l'identité dans la construction conjointe des émotions et de l'art. L'art, les émotions et l'identité constituent un sujet de recherche interdépendant. Plus précisément, l'art occupe une position centrale dans la politique affective. Il est capable d'exprimer des réalités sociales dans des relations de pouvoir complexes, telles que la représentation d'expériences d'identité et d'exclusion. Par exemple, les politiciens peuvent accorder de la valeur à certaines œuvres d'art pour faire avancer la construction de l'état et les revendications de souveraineté, tandis que les artistes peuvent véhiculer d'autres objectifs politiques par le biais des œuvres d'art.

L'art ne se contente pas de refléter les émotions, il peut aussi les construire. Les œuvres d'art incarnent des émotions, et les émotions incarnées peuvent renforcer, remodeler, filtrer, enrichir et même inverser certaines autres émotions, affectant ainsi l'identité. Une simple étude de la relation entre les émotions et l'identité rendra l'argumentation trop simple ou excessivement abstraite. Ainsi, entre les émotions et l'identité, l'art devrait servir d'entité concrète pour faciliter la communication et de médium social pour étayer les émotions.

Deuxièmement, nous pouvons nous pencher sur les connotations sociales changeantes et les exigences politiques dissimulées dans les œuvres d'art. Il est généralement admis qu'une forme d'art reflète l'éthique d'une époque, mais il est difficile de trouver une correspondance entre une œuvre d'art et un phénomène spécifique dans les relations internationales. Cela s'explique par le fait que les changements dans l'art sont généralement lents et découlent de contextes complexes, et que l'art est autonome dans une certaine mesure. Néanmoins, les chercheurs peuvent étudier les relations intertextuelles entre les changements sociétaux et artistiques sur une longue période afin de fournir davantage d'indices pour la réflexion sur les relations internationales.

À cet égard, trois sujets méritent d'être approfondis : la manière dont les groupes marginalisés expriment leur identité à travers des œuvres d'art et réagissent aux récits dominants par des moyens artistiques ; les individus et les questions de justice pertinentes ; et les changements dans le contenu et la forme de l'art religieux et séculier.

Troisièmement, on peut s'intéresser à "l'autosuffisance de l'art" et à la "résistance artistique" dans la vague de la mondialisation. Considérer l'art comme un sujet autosuffisant ouvrira de nouvelles perspectives de recherche. La soi-disant "autosuffisance" signifie que l'art est un participant substantiel aux relations internationales elles-mêmes et qu'il n'est attaché à aucun système de connaissance des relations internationales existant, parce que l'art peut transmettre des valeurs au-delà des frontières, promouvant ainsi l'harmonie sociale.

Par exemple, l'art peut exprimer, communiquer et soutenir les opinions politiques de différents groupes, non seulement en guérissant les traumatismes de guerre, mais aussi en apportant un réconfort spirituel aux civils déplacés. Ce programme de recherche peut au moins couvrir des questions telles que la mesure dans laquelle l'art est un moyen majeur de résoudre les conflits internationaux, comment l'art devient un outil de révolte contre l'autocratie et l'hégémonie culturelle, et comment l'art exprime les appels des groupes opprimés à travers des voix indépendantes et leur offre un symbole alternatif pour l'imagination. D'une manière générale, la nature transnationale de l'art et son impact possible sur la politique mondiale méritent d'être étudiés plus avant.

En conclusion, la perspective artistique permet de réduire les relations internationales à des questions concrètes, puisqu'elle rejette les frontières. En termes de pensée, elle s'oppose à la limite de la rationalité fixée par le scientisme. Elle ne s'oppose pas au rôle de guide de la rationalité et ne nie pas la passion et le potentiel des facteurs non rationnels. Elle s'oppose essentiellement à l'opposition binaire. En pratique, la perspective artistique est transnationale ou capable de franchir toutes sortes de frontières. Bien qu'elle ne puisse pas fournir de suggestions spécifiques pour la prise de décision et l'évaluation stratégique, elle est capable de révéler pleinement l'impact d'une politique sur les individus après sa mise en œuvre. En d'autres termes, l'art ne fournit pas de réponses à certaines questions, mais il peut obtenir de la valeur en expliquant les réponses.

 

Yan Zhanyu travaille à l'École des relations internationales de l'Université de commerce international et d'économie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Chinese Social Sciences Today

Traduit par Zhao Xin

 

 

Edité par  Zhao Xin
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