Dans sa conférence intitulée « Qu'est-ce que les humanités numériques et pourquoi sont-elles importantes ? Peter K. Bol, professeur à Harvard, a souligné quatre caractéristiques importantes qui différencient les humanités numériques des disciplines traditionnelles : les ressources numériques, les données, l'application de méthodes informatiques pour trouver et extraire les données, et l'utilisation de méthodes informatiques pour analyser et visualiser les données afin de générer de nouvelles informations. Ces caractéristiques englobent le cycle de recherche complet - recherche, collecte, organisation et analyse des données - dans un environnement numérique, où les méthodes de recherche des humanités numériques sont applicables. Dans le contexte actuel d'intégration des disciplines et de convergence des médias, la littérarité défendue par les esthéticiens est depuis longtemps en péril. La critique littéraire doit étudier comment relever les défis posés par l'ère des humanités numériques et comment intégrer efficacement les méthodes de recherche importantes dans les humanités numériques pour faciliter l'innovation.

L'intégration des méthodes des sciences humaines numériques

Les méthodes des sciences humaines numériques impliquent principalement l'exploration de textes et l'analyse de données, en s'appuyant souvent sur le « big data » ou le traitement complet des données avec des méthodes analytiques et statistiques relativement nouvelles. En s'engageant dans une macro-analyse et une recherche sur la littérature qui transcende les limites du temps, de l'espace et de la culture, les humanités numériques représentent la recherche interdisciplinaire et l'intégration des disciplines. Cela a radicalement modifié la critique et les paradigmes de recherche dans les disciplines traditionnelles des sciences humaines. Les modèles de recherche tels que la construction de bases de données et l'analyse visuelle ont sans aucun doute facilité l'accès des chercheurs aux documents de recherche. Cependant, le développement rapide des archives de recherche et de la construction de bases de données au cours des dernières années a provoqué la frustration des « accros du matériel », c'est-à-dire ceux qui se consacrent à des recherches exhaustives. La numérisation et l'informatisation rapides nécessitent un changement de paradigme critique chez ceux qui possèdent des documents historiques traditionnels, tandis que la numérisation et la visualisation de vastes quantités de ressources ont rendu obsolètes les anciens concepts de critique.

Les méthodes de recherche dans le domaine des sciences humaines numériques ont efficacement brisé les concepts dépassés et les paradigmes rigides de la critique. En outre, leur application à grande échelle a été préconisée pour établir un graphe de connaissances visuel, créant ainsi un paysage relativement nouveau de la critique et de la recherche. Le projet de la « Plate-forme d'Informations géographiques et chronologiques sur la Littérature Tang-Song », dirigé par le professeur Wang Zhaopeng de l'Université Minzu du Centre-Sud et soutenu par le Fonds national chinois pour les sciences sociales, est un bon exemple d'intégration de la recherche traditionnelle sur la littérature chinoise ancienne et de la technologie numérique moderne. Cette plate-forme se compose de deux éléments essentiels. Le premier est constitué de données de base, c'est-à-dire d'informations chronologiques et géographiques sur les activités et les créations des écrivains, extraites de trois types de documents : les chronologies de la vie des poètes, les éditions annotées de leurs œuvres et les études biographiques connexes pour les données chronologiques et géographiques sur la poésie Tang. La seconde est la « carte vectorielle », une plate-forme de cartes visuelles établie en vectorisant l'Atlas historique de la Chine édité par Tan Qixiang et en l'intégrant aux données de la recherche littéraire.

Cette approche permet de résoudre efficacement deux problèmes majeurs de la recherche littéraire ancienne : la dispersion des données et la séparation spatio-temporelle. Elle permet non seulement de relier les connaissances entre différentes disciplines et catégories, mais aussi d'intégrer de manière plus intuitive des informations telles que le moment où les écrivains étaient actifs et le lieu où leurs poèmes ont été écrits. Cela a non seulement renouvelé la critique et la recherche, mais aussi facilité l'enseignement et la recherche.

La lecture à distance est une approche importante dans le domaine des sciences humaines numériques. Inventée par le chercheur italo-américain Franco Moretti, la lecture à distance est considérée comme une contrepartie importante de l'approche traditionnelle de la lecture attentive. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la lecture à distance n'a rien de mystérieux. Caractérisée par l'analyse de textes à grande échelle, la critique informatique et la lecture collaborative, la lecture à distance se concentre sur la perception globale des textes à un niveau macro, ce qui est impossible à réaliser avec la lecture rapprochée. L'approche de la « macroanalyse » proposée par Matthew Jockers, qui vise à lire et à saisir les caractéristiques communes d'œuvres littéraires massives, peut également être considérée comme une variante de la lecture à distance proposée par Moretti. L'analyse qualitative soutenue par la recherche quantitative, qui complète l'approche macroanalytique, préconise l'utilisation de moyens basés sur des données pour révéler les tendances changeantes et les lois intrinsèques des phénomènes littéraires.

En effet, dès les années 1980, le professeur Chen Dakang s'est efforcé de lever l'énigme de la paternité du Rêve de la chambre rouge [roman chinois du XVIIIe siècle écrit par Cao Xueqin, avec une incertitude sur la paternité de ses 40 derniers chapitres]. Sans l'aide d'aucun logiciel d'intelligence artificielle (IA), M. Chen a soigneusement analysé certains mots fonctionnels et mots et expressions idiomatiques du roman par extraction manuelle et comparaison mécanique, pour arriver à la conclusion convaincante que les 40 derniers chapitres du roman n'ont pas été écrits par Cao Xueqin. Dans une certaine mesure, il s'agit d'une combinaison organique de macroanalyse et d'analyse qualitative soutenue par une recherche quantitative.

En fait, la lecture à distance est déjà devenue très courante dans la critique contemporaine de la littérature en ligne populaire. En tant que « texte ultra-large », la littérature en ligne diffère grandement de la littérature traditionnelle habituée à une lecture d'élite. L'absence de conditions objectives pour une lecture attentive traditionnelle offre la possibilité d'une lecture à distance dans le cas de la littérature en ligne. Ces dernières années, grâce à des logiciels d'intelligence artificielle tels que « One Leaf : Story Collection » (« Yiye Gushihui ») et d'autres logiciels d'analyse intelligente des relations entre les personnages, les chercheurs ont réalisé une analyse macro-statistique de textes massifs de littérature en ligne en explorant la distribution et la visualisation des connecteurs, ainsi qu'en illustrant les relations entre les personnages. Les méthodes de recherche dans le domaine des sciences humaines numériques ont permis de révéler d'importantes facettes de la littérature en ligne, créant ainsi un nouveau paradigme pour la critique de la littérature en ligne.

Les méthodes de recherche dans les humanités numériques, caractérisées par les graphes de connaissances, l'exploration de textes et l'analyse de données, accélèrent leur intégration dans la critique littéraire traditionnelle, ce qui a considérablement élargi et enrichi la recherche et la critique littéraires. En outre, les technologies de l'IA, représentées par la simulation de données et l'apprentissage profond, pénètrent également dans tous les aspects de la recherche et de la critique littéraires à un rythme sans précédent. Par exemple, l'application de technologies telles que l'analyse des sentiments et l'exploration intelligente est en train d'émerger, et les applications de l'IA comprenant l'appréciation littéraire et la génération de dialogues basées sur l'apprentissage en profondeur sont en plein essor. Cela offre également des opportunités et des possibilités pour la pratique de la critique intelligente basée sur l'interaction et la collaboration homme-machine à l'avenir. Ces avancées représentent un changement d'époque gratifiant.

Inquiétudes sur la critique littéraire dans le contexte des humanités numériques

Le développement de la technologie des humanités numériques peut être une « épée à double tranchant ». La facilité d'accès aux documents n'est pas nécessairement une aubaine pour les chercheurs en critique littéraire. La grande quantité de résultats de recherche facilement accessibles peut également conduire les jeunes chercheurs à aborder leur travail avec trop de désinvolture ou à s'appuyer trop fortement sur des modèles établis. Par exemple, avec l'essor de la « génération internet », les jeunes étudiants d'aujourd'hui s'appuient souvent exclusivement sur des bases de données de thèses pour leurs recherches. Cependant, ces bases de données sont en grande partie constituées de publications répétitives de faible qualité, avec peu d'idées réellement originales. L'auteur est convaincu que la plupart des universitaires partagent cette expérience : lorsque leurs étudiants de premier cycle choisissent un sujet pour leur mémoire de fin d'études, certains thèmes stéréotypés ont tendance à revenir fréquemment, tels que « le thème tragique des romans de Yu Hua » et « l'image de la femme dans les romans d'Eileen Chang », ce qui, à mon avis, est l'ennemi de la recherche universitaire contemporaine. C'est précisément la raison pour laquelle Chen Pingyuan, professeur à l'université de Pékin, a déploré le fait que notre capacité de recherche se renforce, alors que notre capacité de réflexion et de lecture s'affaiblit. Il est nécessaire de noter que c'est également ce qui inquiète la critique littéraire à l'ère des humanités numériques.

La lecture à distance de Moretti représente de multiples changements de paradigme dans les objets, les sujets et les méthodes de lecture grâce à ses approches de « lecture de seconde main », de lecture à grande échelle, de lecture collaborative et de critique informatique, promouvant ainsi la transformation de la critique littéraire traditionnelle vers les humanités numériques. On estime également que ces changements ont permis d'aborder efficacement les questions cruciales des objets, des sujets et des méthodes de la critique littéraire. La lecture à distance a révolutionné les modes de lecture conventionnels et créé un précédent pour la critique littéraire des sciences humaines numériques. Toutefois, comme l'a fait remarquer Dan Hansong, professeur à l'université de Nanjing, « l'importance de la critique algorithmique réside précisément dans l'utilisation de l'IA pour inciter les critiques à découvrir des problèmes qui n'avaient pas été remarqués auparavant, et pour aider les critiques à jeter un nouvel éclairage sur les textes ».

Pour la critique littéraire, les méthodes de recherche dans les humanités numériques préconisent l'extraction rapide d'éléments du texte par la lecture à distance, car elles utilisent des moyens techniques avancés pour fournir de nouvelles perspectives et de nouveaux outils pour la critique littéraire. Cependant, elle ne remplace pas et ne peut pas remplacer complètement l'approche traditionnelle de la lecture attentive. En effet, la technologie peut « étendre les fonctions des organes humains » et devenir un « substitut » de l'humanité, mais elle ne peut jamais remplacer les humains eux-mêmes. Pour Moretti, l'interprétation des résultats de la lecture à distance reste tributaire des connaissances et de la compréhension des chercheurs, façonnées par une lecture attentive du texte. En somme, l'analyse approfondie d'une œuvre est toujours inséparable de la reconnaissance émotionnelle unique des êtres humains, ce qui rend la lecture humaine irremplaçable.

C'est en ce sens que plus la technologie des humanités numériques se développe rapidement, plus il est nécessaire de rester attentif à ses risques. En d'autres termes, à l'ère des humanités numériques, la vigilance et l'inquiétude des humanistes ne seront jamais absentes. Nous devons être attentifs au risque de glisser du « fétichisme textuel » traditionnel au « fétichisme technologique » moderne à l'ère des humanités numériques, ainsi qu'à l'obsession des gens pour les machines en raison de circonstances objectives. Nous devrions également nous préoccuper de l'inégalité d'accès au capital culturel qui a pu être exacerbée par les différences d'accès à l'information causées par la fracture numérique. En même temps, comme les chercheurs l'ont demandé à plusieurs reprises, nous ne devrions pas embrasser aveuglément l'essor des humanités numériques. Même si la numérisation connaît une croissance exponentielle, nous devons continuer à rechercher des documents réels. La critique littéraire doit déterminer comment préserver au mieux la beauté de l'imagerie et de l'émotion littéraires, tout en sauvegardant la dernière garnison qui nous définit en tant qu'humains à l'ère des humanités numériques.