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La philosophie du Tianxia
Source : Diogène n° 221, janvier-mars 2008 2013-01-05

I. Le non-monde, ou le monde en faillite

Notre monde supposé est toujours un non-monde1. Cette partie de la création, notre globe, n’a toujours pas pris l’aspect d’un monde unifié. Il reste dans une situation de chaos hobbesien, puisque aucune société mondiale authentique et cohérente n’existe, gouvernée par une institution politique universelle reconnue. Politiquement à la dérive, le monde où nous vivons n’est un que dans son acception géographique. Son identité politique est toujours inexistante par manque d’unité politique. Le monde ne pourra être édifié comme tel qu’à la condition d’être organisé, régulé par une institution mondiale elle-même fondée sur une nouvelle vision du monde, sur une nouvelle philosophie politique pour le monde. 

Les hommes ont tenté en vain d’imaginer le monde comme un empire mondial unissant les nations. On a échafaudé un projet de paix perpétuelle (Kant), ou une conception de l’harmonie universelle de tous les peuples, comme dans la tradition chinoise – et cela, en raison essentiellement d’un problème resté irrésolu : celui d’une coopération stable2. Bien plus que pour ses vicissitudes au cours de l’histoire, bien plus que pour ses propres limites dont il fut si souvent question, la misère d’une philosophie politique prête à embrasser le monde ne doit être imputée qu’à ses propres carences. Le concept politique de nation est largement reconnu, et l’on sait fort bien comment oeuvrer en faveur d’un état-nation ; celui de monde en revanche ne l’est pas, incapables que nous sommes d’agir en faveur du monde. Notre problème fondamental, aujourd’hui, c’est celui du monde en faillite, bien plus que de celui des soi-disant états en faillite dans le monde. Aucun pays ne saurait prétendre à une réussite quelconque, durable, dans un monde en faillite. 

Une question intéressante que posait Martin Wight (1966 : 17) semble toujours d’actualité pour le problème qui nous occupe : « Pourquoi n’y a-t-il pas de théorie internationale ? » L’auteur estimait que nous ne disposions d’aucune théorie internationale digne de ce nom, mais simplement ce que l’on appelle des « théories politiques », lesquelles n’avaient été élaborées, en réalité, que pour les politiques internes aux états, augmentées de quelques menus parerga relatifs aux problèmes d’« équilibre des pouvoirs » sur le plan international, ou autres du même ordre. L’auteur en déduisait que l’on ignorait totalement ce que pouvait être l’internationalité. Il y a fort à parier que Wight eût alors modifié son opinion si sur ce thème de la politique mondiale il avait étudié la philosophie chinoise à travers la notion du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel », qui met davantage l’accent sur la mondialité que sur l’internationalité. Sa question, peut-être, aurait pu être reformulée : « Pourquoi n’y a-t-il pas de théorie mondiale ? » pour ainsi mieux s’adapter au nouveau contexte de la globalisation. Au cours des dernières décennies, le terme « politique mondiale » (world politics) est devenu populaire et a été jugé plus approprié que celui de « politique internationale ». C’est là un changement tardif, mais significatif, même s’il ne traduit aucune véritable nouveauté dans la manière d’appréhender la politique, puisque les interprétations de la politique mondiale demeurent dans le cadre de l’internationalité et que le point de vue de la mondialité fait toujours défaut. Une théorie mondiale ne sera pas possible tant que nous ne prendrons pas en considération la dimension universelle du monde, plutôt que celle de l’état-nation. 

Un système-monde moderne n’a rien à voir avec un système institutionnel du monde. Un système-monde, comme l’a bien montré Immanuel Wallerstein dans son ouvrage The Modern World System, relève toujours d’une domination impérialiste : un état ou un groupe d’états exercent une domination politique, économique et culturelle sur des états-nations moins puissants. On pourrait dire qu’un système-monde est essentiellement un système impérialiste fondé sur la domination, une émanation du concept d’empire où l’on exerce le contrôle par le pouvoir. Aujourd’hui, ce système a définitivement montré qu’il n’était pas la solution aux problèmes de la politique mondiale, s’agissant d’un système imposé au monde plutôt que d’un système de et pour le monde, pour ne pas dire par le monde. Ce dont le monde a besoin, c’est d’un système institutionnalisé du monde qui permettrait de mieux tirer parti des biens universels et partagés, plutôt que de servir les intérêts de quelques nations dominantes. 

Hardt et Negri (2000, Préface) ont montré de manière particulièrement éloquente que le nouvel empire émergeant était une sorte d’empire global ayant hérité – moyennant quelques remaniements du fait de la globalisation – de l’ancien empire qui n’acceptait aucune limite à ses frontières : une sorte d’Empire romain nouvelle version. Mais nous devons bien saisir la complexité de ce nouvel empire, qui n’hérite pas simplement de l’ancien idéal de l’empire, mais aussi de l’impérialisme moderne et de l’idéologie chrétienne de l’universalisme culturel. L’empire américain tente aujourd’hui, en prenant tous les risques, de remodeler cette conception de l’empire qu’il entraîne jusqu’au paradoxe de lancer des guerres au nom de la paix et de saper les libertés au nom de la liberté3. Ce n’est pas bon pour le monde. 

Le fait qu’un empire gouverne l’ensemble du monde ne suffit pas à faire un monde. Gouverner le monde ne signifie pas le posséder ; comme l’enseigne la philosophie politique chinoise, qui gouverne le monde ne profite que de la terre, du monde géographique, mais n’atteint pas le « coeur » des peuples. Le monde de l’esprit n’a jamais été accessible à celui qui gouverne. Il n’existe qu’à condition que les peuples le désirent. Il n’existe, en d’autres termes, que lorsqu’il est justifié ; et il n’est justifié que lorsqu’un système politique d’« harmonie » universelle est créé pour permettre de résoudre le problème de la coopération universelle de tous les peuples. 

La globalisation nous achemine vers une nouvelle ère obscure, dépourvue de concepts neufs et efficaces, jouant encore le jeu des états-nations bien plus qu’elle ne s’en libère et favorisant les conflits internationaux bien plus que les intérêts universels. La globalisation ne débouchera pas sur l’édification d’un monde si elle se voit sans cesse abusée par des chimères du genre « choc des civilisations », « états voyous » ou « états en faillite », forgées par les Américains pour légitimer – illégalement – leur hégémonie et débouchant sur un monde en faillite bien pire que des états en faillite. 

L’histoire a souvent pris un mauvais chemin, sans tenir compte de notre bonne volonté ; mais notre faillite à construire un monde est sans doute imputable, fondamentalement, à notre ignorance politique d’un mundus qua mundus, à l’absence d’une philosophie politique exprimée du point de vue du monde lui-même plutôt que de celui d’un état, à l’absence, autrement dit, d’une vision embrassant le monde plutôt qu’une seule nation. Les idéologies plus à la page aujourd’hui se résument essentiellement, hélas, soit à un universalisme, qui n’est qu’un impérialisme agressif et marqué par une stratégie dominante en faveur des intérêts nationaux des pays les plus développés, soit au pluralisme, essentiellement défini par un nationalisme de résistance visant à défendre les intérêts locaux des nations les moins développées. Et ce type de situation opposant l’universalisme au pluralisme débouche sur un précaire équilibre de Nash qui empêche toute avancée en faveur de la paix dans le monde, des intérêts communs et du développement réciproque. Elle nous présente simplement des philosophies du monde orientées vers des intérêts nationaux plutôt qu’une philosophie pour le monde au nom d’intérêts universaux. 

Cette distinction entre philosophie pour le monde et philosophie du monde est tout à fait pertinente si l’on veut justifier une vision globale. Chacun de nous peut s’être forgé une philosophie du monde issue de sa propre expérience, de la même manière qu’une nation peut se doter d’une philosophie du monde fonctionnelle à ses intérêts nationaux. Mais nous avons vraiment besoin d’une philosophie qui puisse parler pour le monde. Le monde manque parce que nous refusons toute vision globale qui le représenterait en tant que tel. La faillite d’une politique mondiale est essentiellement la faillite de la philosophie. La question, désormais, est donc la suivante : comment s’occuper du monde en tant que monde ? 

Sur cette question, précisément, la philosophie chinoise peut nous apporter une contribution essentielle, notamment grace à sa conception du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » (tianxia, 天下), une conception vieille de trois mille ans, peu connue en Occident, mais toujours d’actualité. La théorie qu’elle implique ne fut pas pleinement développée dans la Chine ancienne, mais elle est riche de possibilités. Nous voudrions montrer ici qu’une théorie modernisée du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » pourrait nous être utile pour trouver une solution au monde chaotique, et plus encore pour élaborer une nouvelle grille d’analyse philosophique des problèmes politiques. 

II. La politique face aux problèmes mondiaux      

Il existe une vieille légende qui raconte la manière dont le système du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » fut créé. Il y a environ trois mille ans, au cours d’une expédition militaire, la tribu Zhou triompha de la tribu Shang, alors à la tête de l’Alliance politique de Chine. Cette victoire marqua l’avènement de la dynastie Zhou, qui dura huit cents ans. Bien plus qu’un simple fait d’histoire, même important, elle marquait une véritable révolution politique, point de départ, en Chine, d’un nouvel art de gouverner radicalement différent de celui de la polis grecque. Avant la dynastie Zhou, en Chine, la politique n’existait pas (en chinois, le mot « politique » signifie « ordre justifié »), pas plus qu’elle n’existait en Grèce avant la polis ; seule existait la loi du plus puissant. Grace à l’invention, par les Zhou, du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel », la pensée politique chinoise fut placée d’emblée sous le signe du monde, alors que les Grecs, à la même époque, inauguraient leur tradition avec la question de la polis. Il n’est certes pas très courant de voir une conception politique qui, aux premières heures de la civilisation, aborde en priorité la question du monde, bien trop avant-gardiste pour venir à l’esprit des Anciens. Pourtant, c’est ainsi que cela s’est passé. 

Ce sont des circonstances peu ordinaires qui en donnèrent l’occasion à la dynastie Zhou. La légende pourrait être résumée ainsi : les Shang étaient à la tête de l’Alliance des clans depuis plusieurs centaines d’années. Le dernier des rois Shang, très fort mais aussi particulièrement sanguinaire, ne trouvait son plaisir que dans les guerres et dans les tueries. Un clan modeste, les Zhou, décidèrent un jour, avec beaucoup de courage, de se rebeller, soutenus par de nombreuses autres tribus ; la chance aidant, ils écrasèrent finalement l’imposante armée Shang. Après la victoire, les Zhou furent confronté à une difficulté jamais rencontrée auparavant : Comment rester à la tête de toutes les tribus et bénéficier de leur soutien durable alors que certaines d’entre elles étaient bien plus importantes numériquement, ou a priori plus puissantes qu’elle ? à cette époque, il existait en Chine un millier de tribus environ, différentes par leur culture, leurs origines, voire leur ethnie. La population des Zhou, estimée à moins de 70 000 individus, était donc fort réduite, comparée à d’autres tribus bien plus importantes – la tribu Shang notamment, forte de plus d’un million d’individus. Comment une puissance moindre pouvait-elle régner sur des puissances plus importantes ? C’est à partir de ce problème que la préoccupation pour une politique universelle (plutôt que le souci d’une politique nationale ou locale) devint la question prioritaire de l’art de gouverner. 

Les chefs Zhou, de grande valeur – à commencer par le duc de Zhou – ont ainsi développé un certain nombre d’idées admirables en matière politique. Leurs principes essentiels peuvent être résumés ainsi : (a) les véritables solutions aux problèmes de politique mondiale passent par un système du monde accepté universellement plutôt que par le recours à la force ; (b) un système du monde universel est justifié politiquement s’il est doté d’une institution politique qui gouverne pour le bénéfice de tous les peuples et de toutes les nations, et pour que soit produite la plus grande quantité de biens partagés ; (c) un système universel du monde fonctionne s’il permet de créer l’harmonie entre toutes les nations et les cultures. Forte de ces principes, la dynastie Zhou créa un système du monde sous le nom de « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel ». 

III. Le modèle institutionnel du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » 

Le « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » est une conception ouverte permettant différents modèles possibles pour un système du monde. Celui de la dynastie Zhou fut le seul et unique à avoir été mis en pratique. Il ne saurait être question ici de recommander ce modèle antique au titre d’exemple éternellement valable ; il est beaucoup trop ancien pour convenir parfaitement à notre monde contemporain. Toutefois, certains éléments tirés de ce modèle ancien méritent assurément d’être repensés pour notre époque contemporaine, de même qu’ils se révèleront probablement utiles pour préparer l’avenir. 

Le « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel », selon la conception Zhou, se présente comme suit4 :

(a) Il s’agit d’un système politique de type monarchique intégrant des éléments de type aristocratique ;

(b) Il s’agit d’un réseau ouvert, composé d’un gouvernement général du monde et de sous-états. Le nombre de sous-états dépend de la diversité des cultures, des nations et des situations géographiques. Les sous-états se rattachent à un système politique général, de la même manière que des sous-ensembles se rattachent à un ensemble plus grand. Le système du « Tout-ce-qui-est-sous-le- Ciel », étant élaboré pour le monde entier, est ouvert aux nations du monde entier, et chaque nation peut en profiter, qu’elle choisisse d’y être intégrée ou simplement de se maintenir en paix avec les autres nations du système.

(c) Le gouvernement universel est en charge des institutions universelles, des lois et de l’ordre du monde. Il est responsable des biens communs du monde, fait respecter la justice et la paix en tant que juge des conflits entre les sous-états. Il contrôle les ressources communes telles que les grands fleuves ou les grands lacs, ou encore les minéraux et autres matières précieuses. Il exerce une autorité particulière pour examiner puis asseoir la légitimité politique des sous-états, une autorité pour superviser la situation sociopolitique des sous-états et une autorité pour conduire une expédition punitive si un sous-état viole la loi ou l’ordre universel. Mais ce gouvernement universel perdra sa propre légitimité s’il trahit la justice ou abuse de ses responsabilités, et en conséquence la révolution sera justifiée.

(d) Les sous-états sont indépendants en ce qui concerne leur économie interne, leur culture, leurs normes et valeurs sociales ; indépendants, autrement dit, dans presque toutes les formes de vie – leurs légitimité et devoirs politiques mis à part. Les sous-états tirent leur légitimation de la reconnaissance politique que leur accorde le gouvernement universel et sont contraints à contribuer – à proportion de leur production et de leurs ressources naturelles – au patrimoine commun et aux aides réciproques, comme les secours en cas de catastrophes ou le contrôle de l’eau.

(e) L’équilibre garanti par des institutions est essentiel pour maintenir la coopération à long terme dans le système du « Toutce- qui-est-sous-le-Ciel ». Le gouvernement général administre directement un territoire nommé Territoire royal, qui s’étend sur deux fois la superficie d’un grand sous-état et quatre fois la superficie d’un sous-état moyen. La force militaire contrôlée par le gouvernement est plus importante que celle d’un grand sous-état, à proportion d’une valeur de six contre trois ; de six contre deux pour un sous-état moyen ; et de six contre un pour un petit sous-état5. Ce modèle limite les avantages du Territoire royal sur les sousétats, tant en matière de ressources que sur le plan militaire, et fait de même pour un sous-état plus puissant sur un moins puissant : de sorte que l’existence d’une superpuissance dominante se révèle quasiment impossible tandis que la révolution devient une menace potentielle mais réelle, qui empêche le gouvernement mondial d’être oppresseur.

(f) Un autre principe important de l’organisation du « Tout-cequi- est-sous-le-Ciel » est que les individus pourront profiter de la liberté de circuler – émigration ou immigration – de manière à pouvoir se déplacer et travailler pour tout état où va leur préférence. Cela suppose une philosophie du mondialisme plutôt que du nationalisme. 

Le modèle institutionnel Zhou du « Tout-ce-qui-est-sous-le- Ciel », caractérisé par son mondialisme et son principe de l’harmonie de toutes les nations, a su maintenir une paix de plusieurs centaines d’années en Chine, alors considérée comme étant « le monde » du fait des connaissances géographiques limitées de cette époque. L’esprit du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » a exercé une influence si grande sur la politique chinoise, y compris aujourd’hui, que celle-ci ne saurait être correctement comprise sans une bonne connaissance de ce concept, même si son application en politique prit fin en 221 av. J.-C. lorsque le premier empereur de Chine annexa plusieurs états pour fonder l’empire Qin, dénaturant du même coup l’esprit du tianxia. Mais le déclin de ce concept peut se révéler tout aussi riche d’enseignement. Aussi étrange que cela puisse paraître, il déclina parce qu’il était trop parfait. La force et le pouvoir limités du gouvernement universel, construit pour défendre l’indépendance et les intérêts des sous-états, se sont révélés insuffisants pour affronter les défis ambitieux des sousétats forts6. Cette difficulté paradoxale a en quelque sorte anticipé les difficultés d’une coopération mondiale, mettant nos esprits au défi de rénover ce modèle en vue d’un meilleur système du monde. 

IV. Pour un renouveau philosophique du tianxia 

Le mot chinois « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel », tianxia, est un concept dense pour définir le « monde ». Il possède trois significations : (a) la terre ou tous les territoires situés sous le ciel ; (b) le choix commun de tous les peuples du monde, ou accord universel du « coeur » de tous les peuples ; et enfin (c) un système politique du monde doté d’une institution mondiale permettant de garantir l’ordre universel. Cette triade sémantique montre clairement qu’un monde simplement physique reste encore fort éloigné d’un monde humain. Ce dernier n’existera qu’à la condition d’être défini comme un monde politique par une institution mondiale apte à refléter le coeur général de tous les peuples, et donc acceptée universellement7. En d’autres termes, le monde naturel ne sera pas notre monde tant qu’il ne sera pas constitué au titre de « Tout-ce-qui-estsous- le-Ciel » doté d’une institution mondiale. 

Le « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » est donc une vision qui appréhende ce monde à la fois comme unité du monde physique (le territoire), du monde psychologique (le coeur général des peuples) et du monde institutionnel (une institution mondiale). Il s’agit par conséquent d’un concept dense, où la métaphysique en tant que philosophie politique vient remplacer la métaphysique en tant qu’ontologie au titre de philosophie première. En ce sens, le globe doit toujours être considéré aujourd’hui comme un non-monde, du fait qu’il n’a toujours pas été doté d’une institution mondiale représentant le coeur général de tous les peuples et permettant ainsi de réaliser l’eidos du monde. 

Le « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » introduit une vision du monde à l’échelle du monde, de manière à pouvoir saisir les problèmes du monde dans une perspective mondiale plutôt que locale ou nationale. Regarder le monde selon une perspective à l’échelle du monde est un principe épistémologique qui fut énoncé pour la première fois par Laozi (Lao-tseu, 580-500 av. J.-C.) : « Connais l’Homme d’après toi-même, la Famille d’après la famille, le Village d’après le village, l’état d’après l’état, le Monde d’après le monde » (Daodejing ou Tao-tö-king, 54). Il s’agit donc d’une épistémologie politique plus que d’une épistémologie scientifique. 

Si l’on suit la voie de la pensée chinoise, on constate que le monde y est toujours considéré comme un corps politique plutôt que comme un objet scientifique. De fait, le monde a rarement été discuté en tant qu’objet scientifique dans la philosophie traditionnelle chinoise, l’esprit chinois étant davantage porté d’un côté à étudier la société en profondeur et de l’autre à appréhender la nature d’un point de vue poétique. L’inclination des Chinois pour la connaissance politique a été si dominante que leur esprit s’est moins intéressé aux vérités de la nature. Une épistémologie politique pourrait partir d’un postulat tel que celui-ci : le monde est composé de choses et de faits, mais seuls les faits, en tant que cequi- a-été-fait8 décident de nos vies. Par conséquent, les questions liées aux faits se révèlent être les plus pertinentes, les choses étant simplement ce qu’elles sont : elles existent au-delà de nos choix et ne nous posent donc aucune sorte de problème. La nature existe, alors que la société a été établie, et seul ce qui peut être établi suscite des problèmes pour nous. C’est dans le monde des faits que se situent nos problèmes, et ce monde coïncide essentiellement avec le politique et l’éthique. Un duc interrogeait un jour Confucius (551- 479 av. J.-C.) pour savoir ce qui était le plus important dans le monde des humains. « C’est la politique », répondit celui-ci (Liji, XXVII ; 禮記\哀公問:敢問人道誰為大。孔子對曰:人道,政為大). Et le politique, disait-il encore, « gouverner, c’est rendre droit » (Entretiens, 12.17). 

Les Chinois ont développé la philosophie politique en liaison étroite avec l’éthique, comme une philosophie première, une métaphysique alternative qui leur permit d’infléchir la question de l’être vers celle que nous avons ailleurs formulé ainsi : être, c’est faire (Zhao Tingyang 2003a). La question du faire remplace celle de l’être au sens où les choses ne deviennent porteuses de signification que lorsqu’elles sont impliquées dans des faits. Les philosophies chinoises sont davantage engagées dans les questions de relation et de coeur, alors que les philosophies occidentales le sont dans les questions de la vérité et de l’esprit. Pour un philosophe chinois la vérité, par exemple, dépend de certaines « relations ». Rien ne peut être dit être une chose ainsi et ainsi faite sans qu’elle ne soit définie en fonction de certaines « relations » ; nous pourrons par exemple estimer qu’une personne est aimable lorsque nous la traitons aimablement, alors qu’en d’autres circonstances nous aurons un savoir opposé de cette personne si nous la traitons mal. C’est un ensemble de relations et non une essence qui définit et décide de ce qui est. La métaphysique des relations nous encourage fortement à penser un système politique du monde dans la perspective du « Tout-cequi- est-sous-le-Ciel », constitué, autrement dit, de relations harmonieuses entre tous les peuples. 

V. Rien ni personne n’est exclu 

L’un des principes les plus importants du « Tout-ce-qui-est-sousle- Ciel », c’est celui de « n’exclure ni rien ni personne », ou encore d’« inclure tous les peuples et toutes les terres » comme on lit dans le Livre des Odes

詩經\小雅\北山溥天之下,莫非王土;率土之濱,莫非王臣” ; cf.

蔡邕《獨斷\卷上》曰“天子無外,以天下爲家”;司馬遷《史記\8\高祖本紀》亦曰:“天子以四海爲家”。司馬光(資治通鑒\27\ 漢紀19):“春秋之義,王者無外,欲一于天下也”

Ce qui signifie qu’aucun peuple ne peut être exclu ou rejeté, puisque aucun n’est fondamentalement incompatible avec un autre. Ce principe comporte deux éléments fondamentaux : l’affirmation que l’étranger n’existe pas et l’affirmation que le païen n’existe pas. 

Le tianxia estime qu’un pays ou un état ne pourra pas éviter le désordre si le monde est lui-même réduit au désordre et à l’anarchie ; et les conflits ne pourront jamais disparaître, y compris parmi les pays où l’ordre règne. L’ordre qui règne à l’extérieur d’une entité politique, par exemple un état, est une condition nécessaire à son ordre interne : les problèmes qui se posent à l’extérieur d’une entité politique sont par conséquent plus graves que ses troubles internes. Un système politique ne pourra aspirer à la paix universelle et perpétuelle qu’à la seule condition de ne plus avoir d’extériorité mais simplement une intériorité où rien ni personne n’est exclu. « Si l’Empire est en désordre, aucun pays n’est en paix ; si un pays est un désordre, aucune famille n’est en paix ; si une famille est en désordre, aucun individu n’est en paix », écrit Lü Buwei (13.7,吕氏春秋 \13\論大) de la dynastie Qin (Kamenarovic 1998 : 211) ». Pour pouvoir jouir de la paix universelle et perpétuelle, un système politique accompli devra être étendu au monde entier, de telle sorte que tous y soient inclus et protégés. Ainsi, personne ne peut être ni considéré ni abandonné comme un exclu. 

Le refus de l’exclusion reste solidaire de cette autre affirmation que le païen n’existe pas. Si cette seconde clause manquait, cer tains peuples pourraient être mis à l’écart en tant qu’« autres incompatibles » et objets d’inimitié. Il existe un vieil argument en faveur de cette clause, qui n’est pas sans intérêt : le Ciel étant universel, juste et équitable à l’égard de toutes les choses, le « Tout-cequi- est-sous-le-Ciel » sera universellement juste et équitable envers tous les peuples, sans aucune préférence pour un peuple en particulier : « le Souverain de tous les peuples ne saurait pencher vers un seul homme » (Lü Buwei 1.4 呂氏春秋\卷一\貴公 ; Kamenarovic 1998 : 37). L’esprit du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » pourrait ainsi expliquer le refus chinois de toute suprématie réclamée par une religion et de tout « peuple élu », dans quelque sens que ce soit. Il est considéré injustifié d’identifier un peuple comme « les païens », puisque chacun est né pour partager le « Tout-ce-qui-est-sous-le- Ciel » et non pour en être exclu. 

L’idée centrale du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » est de reconstituer le monde sur le modèle des liens de familiarité pour en faire un foyer accueillant tous les peuples. Une vieille légende pourra faire comprendre la place qu’occupe cette conception dans l’esprit d’un Chinois « Un homme du pays de Jing avait perdu son arc. Refusant de le chercher, il dit : “Un homme de Jing l’a perdu, un homme de Jing le trouvera. à quoi bon le chercher ?” Confucius, à qui l’on rapporta ce propos, fit ce commentaire : “Qu’on ôte le mot ‘Jing’ et cela ira”. Laozi, à qui ce propos fut aussi rapporté, fit ce commentaire : “Qu’on ôte aussi le mot ‘homme’, et cela ira” » (ibid. ; Kamenarovic 1998 : 38). 

D’après le principe de l’inclusion de tous les peuples, créer un monde-pour-tous est devenu un problème politique fondamental, et l’urgence d’établir une institution mondiale est désormais rationnellement justifiée. Ce monde, bien sûr, n’existe pas encore, mais il devra être édifié. 

VI. L’urgence d’une institution mondiale 

La philosophie politique du tianxia insiste sur l’idée d’une institution mondiale absolument nécessaire pour créer un monde. Parce que tout état ne peut faire autrement que de se trouver impliqué dans le désordre du monde, c’est la théorie du monde qui inclut la théorie de l’état et la politique mondiale qui inclut la politique locale, et non pas le contraire. D’une manière bien différente de la pensée politique occidentale, la théorie du monde est considérée comme le cadre politique de base, alors que la théorie de l’état ou la théorie internationale n’en sont que les corollaires : c’est le monde et non l’état qui doit être considéré comme la question première de la philosophie politique. Une institution mondiale capable d’assurer l’ordre mondial doit donc être considérée comme la priorité des priorités. 

Comme nous l’avons rappelé ci-dessus, la dynastie Zhou a choisi le monde plutôt qu’un pays ou un type d’état comme point de départ de la pensée politique. Cela signifie que le monde doit être érigé au rang d’entité politique la plus élevée, celle qui exerce son autorité sur toutes les unités politiques subalternes. Telle est la condition universelle considérée comme nécessaire pour le bon ordre de toutes les entités inférieures, états-nations et autres types de communauté politique. Ce projet est au fondement de la conception chinoise du système politique. Il est formé de différents corps politiques selon la hiérarchie : Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel, états et familles ; c’est un ordre radicalement différent de l’articulation occidentale en états-nations, communautés et individus. 

Du point de vue chinois de la hiérarchisation rappelée ci-dessus, le système politique occidental apparaît comme étant philosophiquement défaillant. L’absence d’une institution mondiale en tant qu’entité politique faîtière représente une grave carence du système, dans la mesure où personne ne serait là pour prendre soin du monde. Or nous devons prendre le monde au sérieux. L’invention occidentale du système moderne des états-nations est aujourd’hui adoptée de façon presque unanime. L’absence d’une autorité politique supérieure aux état-nation explique notre échec à résoudre les conflits internationaux. Leur règlement par le biais d’une institution comme celle des Nations Unies reste improbable car les Nations Unies – de même que les autres organisations internationales – ne représentent en aucun cas des entités politiques supérieures aux états-nations. Une organisation internationale a pour vocation de s’occuper des problèmes dans la seule perspective de l’inter-, n’étant rien d’autre qu’une organisation auxiliaire soumise au système des états-nations, où ce ne sont pas les intérêts universels qui sont concernés, mais les intérêts nationaux. Les organisations internationales se révèlent incapables de régler un quelconque conflit sérieux dans le monde, parce que l’idée même d’international est toujours limitée dans son champ de vision : elle ne dépasse pas les limites du nationalisme. L’« internationalité », fondamentalement, est un concept illusoire et trompeur dans le cadre d’une philosophie politique mondiale. C’est la mondialité plutôt que l’internationalité qui reste le critère pertinent d’une méthodologie et d’une analyse des problèmes réels en matière de politique mondiale. Le concept d’internationalité ne permet pas d’aborder les problèmes politiques qui se posent à l’échelle planétaire, et ce qui est pire, il risque d’occulter ce qui devrait être réorganisé et résolu dans la perspective de la mondialité. 

Après la théorie nationale, puis celle de l’international, la théorie du mondial (world theory) devrait être maintenant développée pour servir de cadre général universellement reconnu de la pensée politique. La philosophie politique ou la science politique ne sera jamais complète si on ne lui intègre pas la perspective de la mondialité, qui seule permettra de comprendre avec justesse les problèmes de politique mondiale. La théorie du « Tout-ce-qui-est-sousle- Ciel » est supposée être une théorie du mondial nous permettant de repenser les problèmes mondiaux : l’ordre mondial et la gouvernance, les conflits et la coopération, la guerre et la paix, ou encore le choc des cultures, autant de thèmes abordés de manière erronée par l’approche internationaliste. 

La théorie de l’international, de même que l’idéologie des étatsnations, fut fondée sur les mirages des traités de Westphalie, qui n’admettaient pas d’horizon politique plus vaste et plus élevé que celui des états-nations, limitant ainsi la politique internationale à la négociation d’un équilibre précaire entre les différents pouvoirs. Cette théorie se limite donc, grosso modo, à n’être qu’une théorie des jeux axée sur les stratégies visant à maximiser les intérêts nationaux et à asseoir un équilibre nécessaire mais mal supporté. Elle n’est pas une théorie coopérative. La valeur du « Tout-ce-quiest- sous-le-Ciel » en tant que théorie du mondial lui vient précisément de sa vision se situant à l’échelle du monde, à un niveau plus élevé que n’importe quelle vision nationale. Elle nous ouvre un horizon autrement plus vaste, où les problèmes essentiels, les plus profonds et les plus complexes pourront être ainsi repérés et résolus. 

VII. De la transposition politique à la transposition éthique 

Les incohérences ou les contradictions qui existent entre le niveau national et le niveau international réduisent grandement la force et l’efficacité des théories politiques axées sur la nation. La démocratie, par exemple, est toujours admise comme une évidence sur le plan interne, alors que sur le plan international elle est considérée inacceptable, et irréalisable en pratique, par la plupart des libéraux. La vérité est que la démocratie interne ne peut que venir consolider une hégémonie impérialiste sur le monde, alors qu’une démocratie internationale produira l’effet inverse. Une telle faille théorique met en porte-à-faux l’universalité d’une théorie politique, car elle accepte qu’une institution politique ne soit ni universelle ni transposable au monde. 

Il ne devrait subsister guère de doutes quant au fait qu’une institution politique donnée devrait être conduite de manière universelle, c’est-à-dire qu’elle devrait être applicable à toutes les entités politiques et transposable à tous les niveaux et systèmes politiques, faute de quoi elle apparaîtra comme injuste et hostile à l’égard des autres. Même une institution aussi admirable que la démocratie pourrait aboutir à un échec politique si, de nationale, elle ne deviendra pas mondiale, même si elle fonctionne correctement à l’intérieur d’une communauté ou d’un état. L’une des raisons pour lesquelles les états-Unis sont en train de perdre leur réputation dans le monde en matière politique, c’est qu’ils jouent un jeu différent dans leurs affaires internes et sur le plan international. 

La philosophie politique chinoise propose une alternative par sa quête d’une unité achevée du système politique ; cette quête est fondée sur la conviction qu’une institution est bonne si et seulement si elle peut s’appliquer à tous les niveaux politiques, de la base jusqu’au sommet et du local au mondial, pour former un système politique universel. Elle est juste au moins dans ses buts théoriques qui visent à réduire les conflits et à décloisonner les différents niveaux d’organisation du politique, du monde jusqu’à l’état et à la famille, de manière à créer un continuum dans lequel un niveau politique peut être structurellement transposé aux autres. Autrement dit, le monde, les états et les familles doivent être gouvernés de manière cohérente, de manière à représenter autant d’expressions d’une seule et même institution. 

L’art de gouverner doit pouvoir se transposer du sommet vers la base, du plus grand vers le plus petit, pour la raison que les sociétés politiques les plus petites sont toujours conditionnées par les plus grandes. Ce qui signifie que l’ordre et la paix de la société politique la plus grande est toujours la garantie nécessaire pour la plus petite. Mozi (env. 468-376 av. J.-C.) avançait le raisonnement suivant : Le monde peut être plongé dans le chaos du fait des intérêts et opinions divergentes des peuples, et il ne pourra être maîtrisé tant que l’ordre ne sera pas institué par un gouvernement général. Le monde était trop vaste pour être administré seulement par un gouvernement suprême : d’où la formation de plusieurs sous-états et autres entités plus petites. Le bon art de gouverner devrait donc aller de pair avec une institution politique transposable « du supérieur vers l’inférieur plutôt que de l’inférieur vers le supérieur », un ordre descendant du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » vers les états puis vers les familles, du fait de l’existence d’opinions et d’intérêts conflictuels. La réunion, en effet, de plusieurs familles fonctionnant correctement ne donne pas nécessairement une société paisible et de qualité, pas plus que la réunion de plusieurs états fonctionnant correctement ne garantit l’existence d’un monde de justice et de paix (墨子\尚同). La théorie de Mozi suppose donc une méfiance à l’égard de l’« union » internationale – quel que soit le nom qu’on lui donne – pour résoudre le problème des conflits. 

En outre, la légitimité d’une institution politique universelle devra être le reflet de sa droiture sur le plan éthique ; cette légitimité, en d’autres termes, n’est justifiée que pour autant qu’elle est conforme à une certaine droiture éthique. Les philosophies chinoises insistent toujours sur la transposition éthique comme moyen de soutenir la transposition politique. La transposition éthique se réalise dans le sens inverse de la transposition politique – autrement dit dans un ordre ascendant, allant des familles vers les états et ensuite vers le « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » – pour la raison que l’éthique doit être enracinée dans les formes fondamentales de la vie. Le lien de familiarité est considéré comme étant le socle donné par la nature, et comme le témoignage le plus fort de l’amour, de l’harmonie, des intérêts et des devoirs réciproques des hommes. Il apparaît presque comme un « concentré de l’essence de l’humanité », ainsi qu’on peut le lire dans un passage du Liji (禮記\大傳)曰:“上治祖禰尊尊也,下至子孫親親也,旁治昆弟,合族以食,序以昭穆,別之以禮義,人道竭矣”, au point d’être jugé comme étant le meilleur paradigme éthique que l’on peut transposer à tous les niveaux politiques. Administrer un état, ou même le « Tout-ce-qui-est-sous-le- Ciel » de la même manière dont on administre une famille, c’est là un principe confucéen largement reconnu en Chine9. La paix dans le monde, en d’autres termes, n’adviendra pas tant que l’art de gouverner le monde ne suivra pas le modèle des relations familiales. 

On débouche de la sorte sur une circulation politico-éthique qui fonde la justification réciproque de la politique par l’éthique et inversement. Une telle circulation suggère l’existence d’un métaprincipe de la politique : un modèle de système politique est bon si et seulement si il est en même temps un bon système éthique. Ce métaprincipe pourrait servir de critère de justification politique, suscitant une certaine perplexité à propos de la réflexion politique occidentale. Le présupposé métaphysique occidental d’individus absolus conduit inévitablement au mythe hobbesien de la guerre de tous contre tous, lequel, en toute logique, nous mène jusqu’à la conception de Carl Schmitt du politique comme politique de l’ennemi, une représentation fort juste de la réflexion politique occidentale. Si l’on suit cette voie de la politique de l’ennemi, la coopération sera toujours difficile, très limitée et jamais stable, et elle ne permettra pas, hélas, d’espérer aller au-delà de l’équilibre de Nash en tant qu’écueil insurmontable. La logique politique occidentale allant des individus vers les états-nations jusqu’au système impérialiste, est un refus du monde qui finalement se retournera contre lui-même si ce modèle politique est universellement imité par toutes les nations. Or une idée ou une stratégie est reconnue comme mauvaise si elle se retourne contre elle-même et échoue lorsqu’elle est universellement imitée. 

Le système du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel », en revanche, aura des chances de réussir s’il est universellement imité, au moins théoriquement. Il revendique une politique d’harmonie pour un monde dans lequel des relations de proximité et d’éloignement plutôt que d’hostilité distinguent les nations entre elles. Dans un monde sans ennemi au sens de hostis10, l’harmonie devient possible, et c’est là peut-être le seul moyen d’édifier un monde de tous les peuples. 

VIII. La stratégie de l’harmonie et le perfectionnement confucéen 

Dans le premier chapitre du Shangshu (« Livre des Documents »), il est dit que « créer l’harmonie de toutes les nations et de tous les peuples » constitue l’objectif majeur du politique. Ce sont probablement les mots les plus anciens qui parlent d’harmonie. Un monde harmonieux apparaît plus riche de promesses qu’un monde en conflit – qui reste en fait un non-monde. Toute la question se résume à concevoir le jeu harmonieux comme le meilleur des jeux de coopération. 

La pensée chinoise considère que l’harmonie est la condition ontologique nécessaire pour que les choses existent et se développent. Elle est généralement définie comme dépendance et perfectionnement réciproques, comme intégration parfaite de la diversité, s’opposant en cela à une conception postulant l’identité des choses. L’opposition entre l’harmonie et l’identité est comparable à celle qui oppose le multiple à l’un, bien que plus complexe. Cette définition nous vient d’une discussion importante qui s’est tenue au cours du VIe siècle av. J.-C. 

Selon le Zuozhuan, le Commentaire de Zuo (env. milieu du 4e siècle av. J.-C.) aux Annales des Printemps et des Automnes, le prince de Qi déclarait apprécier davantage ceux qui avaient les mêmes opinions que lui, car l’identité coïncidait avec l’harmonie. Mais Yanzi ( ?-500 av. J.-C.) répliqua qu’il existait une différence essentielle entre harmonie et identité, puisque l’harmonie devait contribuer au perfectionnement réciproque de choses diverses et ainsi générer une coopération réussie, alors que l’identité réduisait les possibilités à une seule chose. Il utilisa la parabole suivante : « Un exemple d’harmonie, c’est le bouillon. L’eau, le feu, le vinaigre, la viande hachée et conservée, le sel, les prunes avec le poisson cru, concourent à former le bouillon. On fait chauffer le tout avec du chauffage. Le chef de cuisine combine les différents ingrédients, les met dans la proportion voulue d’après leur saveur, ajoute ce qui manque aux uns en les mêlant avec d’autres, fait disparaître ce que ceux-ci ont de trop en les tempérant avec ceux-là. Un prince sage, en mangeant ce bouillon, met ses passions en équilibre. Il en doit être ainsi entre le prince et le sujet. (…) Si l’on tempérait la saveur de l’eau avec de l’eau, qui pourrait avaler ce breuvage? Si le luth et la guitare ne donnaient qu’une seule et même note, qui pourrait les entendre? C’est ainsi que l’assentiment pur et simple n’est pas louable » (Tch’ouen ts’iou et Tso tchouan 1951, X: Tchao Koung, 20 : 325-327) :

《左传\昭公20年》:

公曰:和与同异乎?对曰:异。和如

羹焉,……宰夫和之,齐之以味,济其不及

,以泄其过。……君臣亦然,君所谓可,而

有否焉,臣献其否,以成其可;君所谓

否,而有可焉,臣献其可,以去其否。

是以政平而不干……若以水济,谁能食之?

若琴瑟之专一,谁能听之?同之不可也

如是

Lors d’une autre discussion, l’harmonie fut estimée être la condition nécessaire pour qu’une chose existe et possède une certaine valeur. L’historien Shi Bo, dans un autre livre fort ancien, le Guoyu (« Les Affaires de la nation »), présenta sa propre argumentation de la manière suivante : « L’harmonie en tant que perfectionnement mutuel amène les choses à leur épanouissement, alors que l’identité les fait périr. Les choses iraient rejoindre le néant si elles étaient réduites au même. Ainsi les grands rois vont chercher leurs reines dans d’autres états, choisissent leurs ministres parmi ceux qui ont des opinions différentes des leurs et utilisent des choses différentes dans des cas différents à bon escient. […] La monotonie est ennuyeuse, l’uniformité ne fait pas une culture, un goût, toujours le même, est un manque de richesse, et l’identité n’a aucune valeur » (Guoyu, « Propos de Zheng ») :

《国语\郑语》:夫和实生物,同则不继。

以他平他谓之和,故能丰长而物生之,若以

同裨同,尽乃弃矣。……声一无听,物一无文,

味一无果,物一不讲

En conséquence il est dit ceci : « L’harmonie de ce qui différent est la condition du maintien des choses dans l’être plutôt que dans le néant » (Liji, 19) :

《礼记\乐记》:

和故百物不失

La musique reste l’un des meilleurs exemples pour illustrer comment l’harmonie est créée. Comme il est dit dans le Zuozhuan X.20, « les anciens souverains faisaient combiner les cinq sortes de saveurs et accorder les cinq sons, afin d’établir l’équilibre des passions et de rendre l’administration parfaite. Il en est des sons comme des saveurs. (…) Le distinct et l’indistinct, le petit et le grand, le court et le long, le vif et le calme, le triste et le joyeux, le fort et le faible, le lent et le rapide, le haut et le bas, l’extérieur et l’intérieur, l’épais et le clair se combinaient entre eux. Le sage, en prêtant l’oreille à la musique, acquérait l’équilibre des passions » (Tch’ouen ts’iou et Tso tchouan 1951 : 327) :

《左传\昭公20年》:

一气,二体,三类,四物,五声,六律,

七音,八风,九歌,以相成也;

清浊,大小,短长,疾徐,哀乐,刚柔,迟

速,高下,出入,周疏,以相济也

L’harmonie en tant que principe de coexistence pourra être encore mieux saisie dans la métaphysique chinoise. Comme nous l’avons dit plus haut, la philosophie chinoise possède une métaphysique des relations plutôt qu’une ontologie de l’être. Poser la question de l’être d’une chose en tant que telle paraîtrait incongru, dans la mesure où rien ne peut être une chose en tant que telle tant qu’elle n’est pas définie dans ses relations à d’autres choses. Un questionnement, pour avoir du sens, ne peut s’appliquer qu’aux relations et non aux choses. Du point de vue de la relation, parler d’« une chose telle qu’elle est » ne possède aucun sens parce qu’une chose n’est jamais telle qu’elle est par elle-même, mais doit être faite telle ou telle en vertu de certaines relations où elle est impliquée. « La chose » n’est qu’une convention linguistique pour la commodité de la représentation plutôt qu’une présence réelle. Les relations sont supposées être la condition ontologique pour qu’une chose se présente comme telle, pour autant que son existence présuppose la coexistence, et que le statut de la coexistence décide de celui de l’existence. Cette logique philosophique est la clé permettant de comprendre l’harmonie comme principe de relation entre les choses. 

Une différence subtile existe entre coopération et harmonie, mais elle est déterminante car elle induit une conséquence importante. Le principe de la coopération pourrait être défini comme un vivre-et-laisser-vivre, alors que l’harmonie désigne un principe plus fort, le vivre-si-et-seulement-si-on-laisse-vivre et le se-perfectionnersi- et-seulement-si-on-laisse-se-perfectionner11. La stratégie qui recherche l’harmonie est donc bien plus qu’une simple coopération. Le jeu harmonieux requiert une manière harmonieuse de jouer bien plus qu’un simple respect des règles. Dans un jeu à choix obligés, le respect des règles est certes ce que l’on peut espérer de mieux. Mais l’admirable honnêteté de ce respect peut dissimuler une subtile mais sérieuse malhonnêteté du jeu lui-même, dès lors que tous les joueurs ne sont pas d’accord sur le jeu lui-même – par exemple, sur le but et les règles du jeu. Les gens n’aspirent pas seulement à jouer selon les règles, mais réclament également le droit de choisir un jeu meilleur que celui qui a été choisi par un pouvoir dominant. Le jeu harmonieux pourrait donc être la solution permettant de créer un jeu agréé par tous. La conception métaphysique chinoise, centrée sur les relations, modifie le but du jeu. Ce dernier aura désormais pour objectif de développer des relations harmonieuses entre tous les joueurs, afin de maximiser les biens de tous plutôt que les intérêts d’un seul.

        Nous en arrivons maintenant au point clé des stratégies de l’harmonie : (a) étant donné deux joueurs X et Y, l’harmonie représente un équilibre réciproque où X et Y mettent leur fortune en commun de sorte que X gagne si et seulement si Y est aussi gagnant, et que X sera perdant si et seulement si Y est aussi perdant ; et (b) on dira que X atteint son perfectionnement si et seulement si Y atteint le sien, de sorte que la recherche du perfectionnement de Y deviendra la stratégie dominante à travers laquelle X poursuivra son propre perfectionnement, et vice versa. En bref, la stratégie de l’harmonie consiste à créer un jeu de perfectionnement réciproque nécessaire et inévitable. Le bénéfice réciproque redevable à l’harmonie génère une situation sociale bien supérieure à celle induite par le perfectionnement selon Pareto, à moins que ce dernier ne coïncide avec le perfectionnement harmonieux. En hommage à l’importante contribution de Confucius à la théorie de l’harmonie, nous nommerons les deux stratégies de l’harmonie équilibre confucéen et Perfectionnement confucéen. 

IX. Effets sur les problèmes contemporains        

Dans le contexte contemporain, le modèle du « Tout-ce-qui-sousle- Ciel » pourrait nous rappeler celui des Nations Unies, dans la mesure où l’un et l’autre sont supposés résoudre les problèmes internationaux et maintenir la paix et l’ordre dans le monde. Malheureusement, leurs différences sont bien plus profondes que leurs points communs. Les Nations Unies ne sont pas une institution mondiale ayant le pouvoir de gouverner le monde ; elles ne sont qu’une organisation apte à négocier ou marchander pour les intérêts de chaque nation. Cette organisation ne pourra donc jamais parvenir à un réel accord puisque chaque nation est une entité rationnelle qui ne cherche qu’à maximiser ses intérêts. Pour réconcilier les divergences, les Nations Unies ont réalisé des efforts considérables pour que le dialogue vienne se substituer aux conflits, mais sans atteindre les résultats escomptés. Il ne fait aucun doute que les dialogues rationnels ont permis de voir diminuer les guerres, mais n’ont entraîné aucune réduction des conflits. Mais ce qui est pire encore, c’est que les Nations Unies, dans la mesure où elles ne possèdent aucun pouvoir réel, se révèlent incapables de résister à la domination de la superpuissance mondiale. 

Sous-jacents au modèle des Nations Unies, on trouve les idéaux d’une démocratie internationale et d’une communication rationnelle, plus ou moins inspirées d’une grande tradition de la Grèce ancienne : l’agora. Malheureusement les Nations Unies ne sont guère qu’une agora sans polis, et ce constat révèle un problème de fond. Une agora peut rester confuse et chaotique à défaut d’être structurée institutionnellement, et les Nations Unies, à l’évidence, sont encore très loin de représenter l’agora parfaite du monde, puisque aucun monde n’existe en tant que corps politique. Or contrairement à une certaine conception populaire, nous n’avons toujours pas trouvé une meilleure définition de la démocratie. La démocratie, de fait, peut être dénaturée par le pouvoir, l’argent et le commerce, elle peut être déjouée par certains votes stratégiques comme le théorème d’Arrow l’a prouvé, voire être honteusement utilisée pour provoquer de terribles désastres, comme ceux qu’Hitler a fait subir au monde entier. La démocratie, hélas, ne conduit pas nécessairement – ni théoriquement ni pratiquement – à la justice, au bien et à la paix. Quant à la communication et au dialogue rationnels, ils souffrent également de sérieuses difficultés. à supposer que la communication accède à une situation idéale aussi parfaite que celle imaginée par Habermas, elle pourrait certes déboucher sur une compréhension mutuelle, mais pas nécessairement sur une acceptation réciproque, car la compréhension ne saurait garantir l’acceptation. Le projet d’une communication rationnelle échoue à produire un accord parce qu’il existe, entre compréhension et accord, la question de l’acceptation qu’il ne saurait évacuer. La vérité, c’est qu’on ne passe pas nécessairement de la compréhension réciproque des esprits à l’acceptation réciproque des coeurs. Nous devons être conscients que le problème de l’Autre est en réalité un problème qui relève du coeur de l’Autre, plus que de son esprit, parce que le coeur n’est pas objet de négociation (Zhao Tingyang 2003b). 

Revenons à la question des Nations Unies. Dans ses relations sociales, une organisation internationale reste à l’image de la société individualiste et hérite donc de tous les problèmes de celle-ci. Une société internationale est d’ailleurs bien plus souvent mal dirigée, puisque sans commandement réel. Nous avons pu observer très concrètement qu’une superpuissance pouvait sans aucune difficulté invalider une organisation internationale telle que les Nations Unies. De fait les Nations Unies, bien loin d’être un pouvoir mondial institutionnalisé, ne sont qu’une organisation collective supposée négocier les intérêts des états-nations plutôt que les intérêts du monde ; elles semblent en fait, comme l’a fait remarquer Giddens (1985 : chap. 10), consolider plutôt qu’affaiblir le système des états-nations. De la même manière qu’une agora sans polis est impossible, une organisation mondiale sans institution mondiale se révèle être une illusion. 

La question d’une institution mondiale pour l’avenir est aujourd’hui devenue pertinente du fait que la globalisation, comme on l’entend fréquemment affirmer, est en train de déconstruire le système des états-nations. Dans le processus de globalisation, il est plus que probable qu’un ou plusieurs de ces états-nations vont se transformer eux-mêmes en une sorte de nouvel empire ; il suffit de prendre pour exemple l’invention récente de l’« empire » américain, ce nouvel impérialisme héritant des caractéristiques de l’impérialisme moderne, mais où l’on est passé de l’administration coloniale au contrôle dominateur sur le monde grace à l’hégémonie – ou plutôt à l’American leadership comme préfèrent le nommer les Américains eux-mêmes. Cet empire total cherche à dominer non seulement sur le plan politique et économique, mais aussi dans le discours culturel et dans la production du savoir, favorisé par le processsus de globalisation en quoi il trouve son meilleur allié. Il semblerait même que certains Américains veulent encore davantage. Comme l’écrit Joseph Nye (2003), le problème de l’empire américain serait mieux qualifié de « sous-expansionnisme impérial » plutôt que « surexpansionnisme impérial », comme on lui en fait souvent le reproche. Nye (2002) préconise que les états-Unis développent encore plus leur « soft power » en complément de leur « hard power ». Cet empire total ne se contente pas de vouloir être le vainqueur dans un jeu donné, mais il entend être aussi le concepteur de jeux tout autant que celui qui en impose les règles. Le monde courrait à la désorganisation totale si l’un des joueurs devait être en même temps celui qui impose les règles. L’empire américain ne conduira pas le monde vers une réjouissante « fin de l’Histoire », mais à la mort du monde, car les pays frustrés et désespérés n’ont pas de meilleure stratégie que de briser cet ordre du monde par tous les moyens, au risque de voir surgir tous les dangers inhérents à la globalisation.

Le monde est désorienté. C’est le problème de notre époque. La globalisation semble être la marque d’une profonde mutation, où l’on passe de l’ère de l’état-nation à une ère nouvelle, encore bien confuse. Mais une chose est claire : la globalisation a si profondément investi l’ensemble des nations, sociétés et cultures que rien ne peut plus être laissé au hasard. C’est pour cette raison que la question d’une institution mondiale est sur le point de devenir une question fondamentale. Le monde ne sera pas, comme nous l’avons dit, s’il n’existe aucune institution mondiale ayant à charge l’ordre et la paix dans le monde. Le monde physique a été créé, mais un monde humanisé est encore à faire. La renaissance du monde dans la perspective du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » a besoin d’une réforme politique mondiale pour que s’ensuive un tournant philosophique et un nouveau cadre d’analyse politique, en vertu de quoi tous les problèmes du monde seront réinterprétés en tant que problèmes mondiaux. C’est bien pourquoi une discussion philosophique sur le « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel » peut nous permettre de repenser les problèmes politiques aujourd’hui, et devenir peut-être une source d’inspiration pour former le projet d’une institution mondiale. Un monde juste, nous semble-t-il, ne pourra être créé que si l’on tient compte de deux concepts fondamentaux : l’agora et le « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel », où les deux traditions, grecque et chinoise, sauront harmonieusement se rejoindre. à condition, certes, que ces deux concepts fassent l’objet d’une réactualisation et d’une réécriture capable de satisfaire la voie contemporaine. 


 

 

 

 

1. Ma théorie du « Tout-ce-qui-est-sous-le-Ciel », publiée sous forme d’articles en chinois en 2003, puis en livre en 2005, a fait l’objet de nombreux comptes rendus et débats dans notre pays. Je voudrais ici adresser mes remerciements à tous les critiques et commentateurs de ce travail. Le texte ici présenté est une version entièrement nouvelle et inédite.

2. Shangshu (尚书), chap. I : « Les Documents du roi Yao ». Il s’agit de l’un des livres chinois les plus anciens, vieux d’environ trois mille ans, qui compile les faits et dits de grands rois.

3. La décision de pratiquer des « attaques préventives » a ouvert une ère nouvelle de l’empire militaire américain, comme le montre le document The National Security Strategy of the United States of America, publié par la Maison Blanche en septembre 2002.

4. Shangshu (尚书 « Livre des documents »), Zhouli (周礼 « Rites des Zhou ») et Liji (礼记 « Traité des rites »).

5. 周礼\夏官司马 (Zhouli, IV) ;

左传\襄公14 (Tch’ouen ts’iou et Tso tchouan 1951) ;

陳傳良:歷代兵制 (Chen Fuliang (1137-1203), Les systèmes militaires des dynasties).

6. Discours de Li Si, primat de l’empire Qin, dans Sima Qian (145 ?-86 ? av. J.-C.) 史記\秦始皇本紀(Mémoires historiques : Le Premier empereur Qin).

7. Xunzi (1987 : 146, ch. 11) : « Ce que j’appelle subjuguer l’Empire, ce n’est pas assumer la charge de son territoire en suivant ses propres principes, c’est connaître une voie qui unifie le coeur des hommes » (荀子\王霸).

8. Le concept chinois « » pourrait être traduit par « ce-qui-a-été-fait », très proche du concept occidental factum. Voir dans le Huainanzi (淮南子 \汜論 ) : “所由曰道,所為曰事(Ce qu’il faut suivre, c’est la Voie , et ce qui doit être fait, ce sont les faits).

9. La Grande étude (大學:身修而後家齊,家齊而後國治,國治而後天下平) ; voir aussi chez Mozi 墨子\尚同下:治天下之國若治一家.

10. Carl Schmitt (1996 : 28) estime que le véritable ennemi est hostis, et non inimicus.

11. Il s’agit d’une version remaniée de la règle d’Or de Confucius (Entretiens, 6).








Traduit de l’anglais par Thierry Loisel

Edité par Yao Xiaodan

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