Une réflexion sur la finalité de l’enseignement du français 2e langue étrangère en prenant appui sur le Cadre
Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner,évaluer① (désormais le Cadre) se donne comme un référentiel, mais il ne se présente pas comme un outil prescriptif : il offre une plate-forme de réflexion destinée à alimenter l’offre de cours et de certifications. «Son mode d’influence n’est pas celui de l’application, mais celui d’un cadrage commun, à l’intérieur duquel de multiples options demeurent possibles».②
Le Cadre offre à chaque utilisateur de la souplesse pour envisager et expliciter selon le cas, les compétences, les niveaux, les activités, les tâches, etc., dans lesquels le sujet apprenant aura besoin d’agir ou devra agir. Il permet aux utilisateurs de décomposer les compétences à atteindre en une suite d’objectifs opérationnels étalonnés. Il invite chaque enseignant à fixer librement ses exigences, tout en ayant la possibilité de se placer sur une échelle commune.
Ainsi, l’Université centrale de finances et d’économie (désormais UCFE), par exemple,pourrait s’aligner sur ces échelles pour élaborer des finalités à enseigner.
Par finalité nous entendrons les buts généraux et externes pour lesquels on décide d’organiser ou de mettre en place un enseignement de langue, avant de décider de ses objectifs spécifiques et de ses modalités précises de réalisation, qui, eux, relèvent de l’enseignement à proprement parler.
En situation d’apprentissage à l’UCFE, au regard des besoins des apprenants③, « apprendre une langue, c’est apprendre une culture ; par conséquent, enseigner une langue, c’est enseigner une culture » (Byram1992:67). On peut définir les finalités de l’enseignement du français dans deux catégories : l’enseignement de la langue d’une part et l’étude de la culture d’autre part ;
L’enseignement de nature culturelle constitue donc une finalité au même titre que l’appropriation de la langue. On doit donc abandonner l’idée d’une progression grammaticale linéaire et unidirectionnelle, qui existerait depuis toujours dans le contexte de l’enseignement du français 2e langue étrangère, pour s’attacher aux compétences décrites par le Cadre et les construire selon la situation éducative. Ce sont ces compétences qui définissent un inventaire des contenus à enseigner, un choix de ce qu’il faut présenter en rapport aux besoins et à la répartition dans le temps.
1. Compétences communicatives langagières
Selon le Cadre, la compétence communicative comprend trois composantes : compétences linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques. Dans ce modèle, la compétence sociolinguistique est au coeur du dispositif, elle permet d’articuler les composantes linguistiques et pragmatiques.
En cas de l’UCFE, le cours de français est comme un cours « au choix » pour les apprenants. La langue française est seulement un outil, une clé dont ils se servent, et qui les aide à se diriger vers un monde culturel ou professionnel beaucoup plus large. Ceux qui suivent le cours sont tous les débutants complets en français. On privilégie donc les deux premières composantes de ce modèle, qui identifient les dimensions langagières et culturelles, et qui constituent également les besoins d’apprentissage des étudiants.
Compétences linguistiques
Les composantes linguistiques se déclinent en composante lexicale, grammaticale, sémantique, phonologique et orthographique, c’est-à-dire en capacité à reconnaître les éléments lexicaux, morphologiques, syntaxiques et phonologiques d’une langue et à les combiner pour former des phrases. Ces compétences linguistiques recouvrent les besoins langagiers manifestés par les étudiants. Alors, elles composent une des finalités d’enseignement à l’UCFE.
Compétence phonologique
Une langue est d’abord une réalité prononcée, une réalité entendue, bref, une réalité phonétique. « La compétence phonologique comprend les unités sonores de la langue (phonèmes) et leur réalisation dans des contextes particuliers (allophones) ; les traits phonétiques qui distinguent les phonèmes ; la composition phonétique des mots, etc. Elle suppose une connaissance de la perception et de la production et une attitude à percevoir et à pratiquer» (Cadre : 91).
La prononciation représenterait en quelque sorte la composante la plus caractéristique, la plus intime, la moins accessible d’une langue. Un bel accent donne toujours une grande assurance ou confiance en soi. L’exactitude phonétique et l’aisance constituent un objectif d’apprentissage immédiat et aussi à plus long terme. La phase de la compétence phonétique est primordiale, même pour les étudiants de l’UCFE dits non-spécialistes en langue étrangère.
Pour apprendre à prononcer, une des démarches de la correction phonétique est de procéder par assimilations, c’est-à-dire de faciliter la prononciation d’un phonème en l’entourant de phonèmes similaires, en l’occurrence, ceux du chinois ou de l’anglais. Il est, par exemple, plus facile pour un Chinois de prononcer respectivement les caractères, tels que 饿, 按, 叶, 热 (les deux derniers caractères doivent être prononcés en dialecte shanghaien et non en mandarin) qui sont équivalents des phonèmes problématiques français [oe], [~ε], [ j], [ Л ]. Pour les autres, on peut recourir à l’anglais. Les phonèmes [ø] et [r] sont les plus difficiles, parce qu’il n’existe d’équivalent ni en chinois ni en anglais. Pourtant, il ne faut pas trop s’attarder là-dessus, sinon on démotive les apprenants, car ces phonèmes peuvent s’acquérir au fur et à mesure dans la pratique courante.
Quant à d’autres vecteurs de l’oralité : l’enchaînement, la liaison, l’accent, le rythme et l’intonation, il vaut mieux les intégrer tout au long de l’enseignement, car c’est de là que dérivent, partiellement, les problèmes les plus délicats et qui méritent une certaine prudence.
Compétence grammaticale
La compétence grammaticale définie par le Cadre est la capacité à comprendre et à exprimer du sens en produisant et en reconnaissant des phrases bien formées selon ces principes et non la capacité à les mémoriser et à les reproduire comme des formules toutes faites (Cadre :89).
Le principal moteur d’acquisition de la langue est que l’architecture grammaticale s’apprend par la communication et non antérieurement à elle. Pour les apprenants qui choisissent le français comme 2e langue étrangère, au lieu d’apprendre toutes les règles grammaticales préétablies selon le manuel, sans la moindre opportunité de les utiliser et réutiliser. On invitera les étudiants à découvrir les points grammaticaux dans le contexte et c’est grace à ce dernier que l’on permettra de construire progressivement la compétence grammaticale en français.
Compétence lexicale
Même si le vocabulaire a constitué l’autre pôle de l’acquisition d’une langue face à la grammaire, il ne joue pas un rôle assez important en situation institutionnelle d’apprentissage à l’UCFE, car les étudiants « apprennent DU français, non pas LE français » (Lehmann 1993 :115). Alors, comment enseigner le vocabulaire ? Que faut-il enseigner ?
En effet, les mots se situent aux croisements de tous les registres de langue, de l’écrit et de l’oral, de la langue et de la culture. Le vocabulaire n’est pas un ensemble d’unités indépendantes les unes des autres. Les termes qui le constituent forment d’abord des ensembles où chacun d’entre eux doit sa signification aux relations qu’il entretient avec les autres. D’ailleurs, il est opportun d’envisager « les relations vocabulaire/culture » (Beacco2000:138). Selon J.-Cl. Beacco, des mots ne traduisent pas directement les phénomènes culturels par leur sens enregistré en dictionnaire. Certains d’entre eux sont chargés d’épaisseur historique. Ainsi, au lieu de donner la connaissance de leurs significations, l’enseignant porterait l’attention à la connaissance culturelle des mots, qui pourrait constituer une des activités pédagogiques stimulantes aux apprenants adultes de l’UCFE.
Pour les étudiants qui désirent « comprendre et puis parler », on envisagera la compétence lexicale sous l’aspect de l’action réalisée à travers la communication verbale. Selon le Niveau A1 pour le français④, la compétence lexicale se divise en deux parties : une typologie générale des fonctions, et un inventaire des notions générales. Dans cette classification en fonctions et en notions, on essaiera de veiller à ce que l’accent puisse être mis davantage sur l’expression personnelle, par exemple, en fonction des exigences des étudiants.
Compétence sociolinguistique à enseigner
La compétence sociolinguistique porte « sur la connaissance et les habiletés exigées pour faire fonctionner la langue dans sa dimension sociale » (Cadre: 93). Les éléments suivants en font partie :
● marqueurs de relations sociales (par exemple usage des salutations, des formes d’adresse et des exclamations) ;
● règles de politesse et d’impolitesse en sont de bonnes illustrations ;
● proverbes et expressions figées ou idiomatiques ;
Ce sont les dimensions culturelles et situationnelles qui sont mises en valeur. On y reviendra plus loin.
2. Compétences générales individuelles
Les compétences générales individuelles recouvrent les compétences qu’un individu possède : elles « ne sont pas propres à la langue mais sont celles auxquelles on fait appel pour des activités de toutes sortes, y compris langagières » (Cadre :15). On distingue ici : les savoirs, les aptitudes et savoir-faire, les savoir-être et le savoir-apprendre.
Dans les compétences générales, les termes qui sont en corrélation avec la dimension culturelle, sont décrits :
● dans Savoir (Cadre : 82-83) : le savoir socioculturel et la prise de conscience interculturelle
● dans Aptitude et savoir-faire (Cadre : 84) : les aptitudes pratiques et les savoir-faire interculturels
● dans Savoir-être (Cadre :85-86) : le développement d’une personnalité interculturelle
Les compétences générales individuelles ainsi que la compétence sociolinguistique omposent les compétences de nature culturelle qui sont spécifiées, selon J.-Cl. Beacco⑤, en six composantes (les dimensions actionnelles, les dimensions ethnolinguistiques, les dimensions éducatives ou interculturelles, les dimensions relationnelles, les dimensions interprétatives), auxquelles on s’attache dans le découpage en niveau A1. Nous privilégions les trois premières composantes de ce modèle, qui constituent essentiellement les besoins d’apprentissage des étudiants dans la classe de langue.
Les composantes actionnelles
Les dimensions actionnelles permettent de décrire un « savoir agir » minimum dans une communauté peu connue ou inconnue, de manière à pouvoir y gérer sa vie matérielle et relationnelle, qu’il s’agisse d’un séjour provisoire, comme touriste...
S’agissant de nos publics ayant « une perspective d’un voyage en France »⑥, l’objectif didactique des dimensions actionnelles est plutôt relatif à la gestion de la vie quotidienne :
● Découverte partielle de scripts sociaux : familiarisation avec les structures spatiales (organisation de l’espace urbain, privé), les rythmes collectifs, la monnaie et le prix
● Connaissances nécessaires au logement, à la nourriture, aux transports, au loisir... et familiarisation avec les fonctions de certains commerces (charcuterie-traiteur, boulangerie, bureau de tabac, supermarché, centres commerciaux, marché aux puces, kiosque de presse, cinéma...)
● Identification des institutions et des associations (banque, poste, office de tourisme, agence de voyage, préfecture, Caisse d’allocation familiale (CAF)...) intervenant dans la vie quotidienne.
Ces descriptions traduisent concrètement dans l’apprentissage linguistique par :
● l’appropriation de notions générales et spécifiques (jours de la semaine, fêtes et jours fériés, noms de commerces, noms d’objets quotidiens...) et de fonctions discursives isolées correspondantes ;
● l’appropriation de quelques noms propres, d’abréviations et de sigles relatifs aux institutions (commerces, entreprises, administrations...) nécessaires à la vie quotidienne;
● la capacité à interpréter partiellement des textes de type officiel ou pratique : étiquettes, titres de transport, reçus et factures, modes d’emploi, instructions, certains écrits de la rue (noms de rues, enseignes...) ;
Ces aspects culturels et langagiers ainsi retenus, du fait qu’ils stimulent un intérêt nouveau chez les étudiants de découvrir des horizons autres que ceux évoqués par l’anglais.
La composante ethnolinguistique
Pour la composante ethnolinguistique, on met l’accent sur la maîtrise des formules rituelles ou courantes de la politesse verbale, que propose le Niveau A1 pour le français, un référentiel sous une typologie d’ « Interagir dans des rituels sociaux » : s’excuser, se présenter, trinquer, adresser un souhait à quelqu’un... par exemple, qui constituent une autre dimension culturelle d’enseignement.
Les dimensions interculturelles
En situation de l’UCFE, le contact interculturel se produit essentiellement à travers l’enseignant, le manuel et les médias nationaux. Dans l’apprentissage du français, la méconnaissance du contexte culturel, sociologique, politique et historique d’un support constitue un handicap. Il arrive que l’apprenant, bien que connaissant chaque mot d’une phrase ou d’un texte, n’en saisisse pas le sens. Il s’agit alors d’un problème interculturel.
C’est pour cette raison, les dimensions interculturelles constituent un contenu d’enseignement non négligeable. S’agissant des savoirs linguistiques, comme le précise J.-Cl. Beacco, pour le niveau A1, c’est notamment la « Capacité à réaliser des échanges verbaux constitués de demandes d’informations (questions) et d’apports d’informations ou d’appréciations » ⑦ que l’on mérite une attention particulère. En fait, les dimensions interculturelles relèvent en général de la sphère privée où sont en jeu connaissances, croyances, idéologies, valeurs et expérience sociale de chacun. On peut donc recourir à ces informations interculturelles en langue maternelle ou même en langue première, en l’occurrence en anglais dans le but d’élargir l’expérience interculturelle des étudiants et susciter leur curiosité pour la société cible. Cela stimulerait leur intérêt de l’apprentissage de la langue française.
En fin de compte, l’enseignement de nature culturelle a pour but d’ouvrir d’une manière générale vers le monde extérieur, d’apprendre aux étudiants que les incompréhensions langagières peuvent provenir du contact des cultures et non uniquement des raisons linguistiques.
Ces finalités langagières et culturelles ainsi définies et décrites sous forme des compétences constituent une nouvelle perspective, de nouveaux objectifs par rapport à l’enseignement actuel, et qui méritent une attention toute particulière et une étude bien approfondie.
① Conseil de l’Europe (2001) : Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Division des Politiques Linguistiques, Strasbourg, Paris, Didier.
② Beacco, J.-Cl. (2004): Influence du Cadre (CECR) sur les programmes et les dispositifs d’évaluation, le
français dans le monde, n° 336.
③ Pour l’essentiel, consulter Zhang Luna (2005) : Analyse des motivations, des besoins et des attentes des étudiants dans l’apprentissage du français dans le cadre des facultés de sciences économiques, in 法国研究n° 59.
④ Niveau A1 pour le français : un réfécentiel (Paris, Didier) sortira en librairie en juin 2006. Je remercie
particulièrement Jean-Claude Beacco qui m’a permis de lire le manuscrit de cet ouvrage.
⑤Beacco, J.-Cl. (2004) : Une proposition de référentiel pour les compétences culturelles dans les enseignements de langues, in Beacco, J.-Cl., Bouquet, S. et Porquier, R.: Niveau B2 pour le français : textes et références, Paris, Didier, p. 253.
⑥ Voir la note 3.
⑦ Beacco, J.-Cl. (2004) : Une proposition de référentiel pour les compétences culturelles dans les enseignements de langues, in Beacco, J.-Cl., Bouquet, S. et Porquier, R.: Niveau B2 pour le français : textes et références, Paris, Didier, p.269.
Edité par Yao Xiaodan