Pour se développer, la Chine a besoin d'évoluer dans un climat de paix, mais cette condition ne dépend pas exclusivement de sa volonté. Depuis la mise en application de la stratégie américaine de rééquilibrage en Asie-Pacifique, le contexte géopolitique autour de la Chine s'est complexifié. Ces deux dernières années, de nombreuses polémiques ont éclaté entre la Chine et ses pays voisins, dont le Japon et les Philippines. À l'est, la Chine fait face à bien des menaces d'ordre stratégique, en provenance de différents acteurs.
Deux grandes menaces
À la fin de la guerre froide, les États-Unis ont entamé de façon méthodique une expansion géopolitique planétaire. Dans les années 1990, ils ont concentré leur stratégie sur l'Europe de l'Est, en tirant profit de l'élargissement de l'OTAN et de celui de l'Union européenne. Dans les années 2000, les États-Unis ont principalement ciblé le Moyen-Orient et l'Asie centrale avec les guerres en Afghanistan et en Iraq. Depuis 2010, ils ont déplacé leur centre d'intérêt vers l'Asie de l'Est, se heurtant à la Chine comme adversaire. C'est ainsi que l'on peut résumer la stratégie géopolitique des États-Unis, qui cherchent à contrôler l'intégralité du continent eurasiatique. Le rapide essor chinois presse les États-Unis à considérer la Chine comme leur principal rival stratégique à l'échelle du globe. Si l'on considère qu'il est difficile pour les États-Unis de venir s'installer sur le continent en passant par le nord, l'ouest ou le sud de la Chine, et en outre, que le cœur du développement économique chinois se situe dans les régions côtières de l'est, et que l'énergie et les ressources de la Chine se concentrent en Asie de l'Est et dans le Pacifique ouest, on comprend pourquoi ces deux dernières régions sont devenues le principal champ de bataille, où les États-Unis essaient à tout prix de contenir la Chine.
Ainsi, la Chine est confrontée à deux grandes menaces systémiques.
La première est formulée par les États-Unis, qui pour freiner la Chine, reconstruisent une nouvelle structure de guerre froide en Asie de l'Est. D'abord, les États-Unis renforcent à tous les égards les alliances militaires qu'ils avaient auparavant établies sous la guerre froide. Ils ont non seulement consolidé les alliances bilatérales existantes, mais en ont aussi rassemblé certaines, comme celle américano-japonaise et celle américano-sud-coréenne, pour les transformer en une seule et unique alliance trilatérale. Les États-Unis ont en même temps encouragé ces pays alliés à resserrer leurs liens militaires entre eux et avec d'autres pays. Ensuite, les États-Unis accroissent leurs relations globales avec les pays autrefois ennemis ou toujours idéologiquement ennemis, dont le Vietnam, la Birmanie et le Laos, et s'efforcent de minimiser ses divergences idéologiques et ses griefs historiques avec ces nations, dans le but de constituer un front international uni contre la Chine. Entre autres, ils accordent une importance particulière au développement de leurs relations militaires avec le Vietnam, tentant de faire de cet État le nouveau pivot de leur stratégie en Asie-Pacifique. De plus, les Américains étendent leur présence militaire en Asie-Pacifique. Ils centralisent actuellement leurs principales forces offensives stratégiques dans le Pacifique Ouest. À travers ce processus, d'une part, les États-Unis intensifient le déploiement avancé de leurs troupes au Japon, en Corée du Sud, aux Philippines et à Singapour ; d'autre part, ils élargissent leur champ stratégique en accordant plus d'importance à Guam, Hawaï et l'Australie pour des raisons géographiques, et ont même réamorcé leurs bases militaires implantées à Saipan, aux Palaos et sur l'île Wake, longtemps restées inactives. Résultat, le Pacifique est devenu le nouvel Atlantique de la guerre froide. Enfin, les États-Unis renouent leurs liens économiques en Asie-pacifique. Pour enrayer la montée de l'influence économique de la Chine dans cette région, ainsi que l'intégration croissante des pays sur la base d'une coopération autonome, les États-Unis ont promu vigoureusement l'Accord de partenariat transpacifique (TPP) en Asie de l'Est, dans une tentative de modifier à leur avantage les relations économiques entre les nations de cette région.
La deuxième menace est proférée par le Japon, qui cherche à bouleverser l'ordre qui a été établi après la guerre. Depuis quelques années, le Japon nie son passé d'envahisseur et embellit sa guerre d'invasion, sans hésiter à réviser les manuels scolaires. Les hommes politiques japonais se rendent annuellement au sanctuaire de Yasukuni malgré les protestations chinoises, refusent d'admettre leur responsabilité dans le massacre de Nanjing, ainsi que l'esclavage sexuel qu'avaient commis les troupes japonaises durant la guerre. Le gouvernement japonais a par ailleurs transformé son agence de la Défense en un ministère de la Défense, tout en préconisant d'élever la force d'auto-défense au rang d'armée. Le Japon intensifie son armement, de sorte que ses forces d'auto-défense se dotent de matériel offensif ; il assouplit les restrictions en matière d'exportation d'armes, relance l'industrie militaire et établit des bases à l'étranger. Le Japon, qui ambitionne de devenir un grand pays militaire, a même émis le projet de réviser sa Constitution pacifiste. Ces gestes reflètent la tendance politique de droite qui a pris de l'ampleur dans le pays après la guerre. En juillet dernier, c'est le Parti libéral démocrate (l'équivalent de l'extrême droite), emmené par Shinzo Abe qui a remporté les élections législatives au Japon. Après sa victoire, il a légitimisé le militarisme en révisant la Constitution. Ainsi, ce revirement de l'orientation politique au Japon est devenu un problème incontournable. En août, le porte-avions Izumo, entrant dans la catégorie « corvette », a été mis en service, ce qui constitue une autre violation aux arrangements conclus après la guerre ainsi qu'une nouvelle étape dans l'expansion de ses forces militaires. À savoir qu'au lieu d'empêcher ces comportements droitistes, les États-Unis adoptent une attitude indulgente et poussent même le Japon à s'opposer aux résultats de la guerre antifasciste et à renverser l'ordre d'après-guerre établi. Les États-Unis cherchent délibérément à diriger la tendance droitiste vers la voie du militarisme et de la conquête étrangère, afin de bloquer la Chine. Le Japon est, lui, désireux de tirer parti de la puissance des États-Unis pour supplanter la Chine et dominer l'Asie de l'Est. Dans le cadre de leur stratégie d'encerclement de la Chine, les États-Unis favorisent un dangereux ennemi de la Chine, qui serait capable de mener des attaques offensives à son encontre.
Promouvoir l'intégration de l'Asie de l'Est
La configuration géopolitique en Asie de l'Est, actuellement en pleine mutation, fait naître de très fortes contradictions. Les États-Unis tentent de renforcer et d'élargir leur pouvoir d'influence, tandis que la Chine est en train de rétablir dans cette région l'influence qu'elle y exerçait autrefois. Le nouvel échiquier de l'Asie de l'Est prend peu à peu sa forme sur fond de vives luttes. Dans ce processus, la Chine doit prendre les devants sur le plan diplomatique. En ce sens, les pays de l'Asie de l'Est vont sans doute devenir la priorité de la diplomatie chinoise. Les relations sino-américaines doivent se subordonner à la diplomatie chinoise.
En réalité, pour la Chine, traiter bien ses relations avec les pays de l'Asie de l'Est bénéficiera aussi grandement à ses relations avec les États-Unis. Dans les affaires diplomatiques en Asie de l'Est, la Chine, d'un côté, s'oppose fermement aux quelques représentants des forces extérieures, et de l'autre s'unit à la majorité des pays attentistes, afin de construire activement une communauté stratégique et sûre. Il est à noter que les différends sur la souveraineté des mers qui ont éclatés entre la Chine et certaines nations ne sont pas de même nature. Très peu d'entre eux relèvent de la lutte contre l'hégémonie ; la majorité correspond à des problèmes localisés de faible portée.
La stratégie chinoise en Asie de l'Est promeut essentiellement l'intégration de l'Asie du Nord-Est et de l'Asie du Sud-Est. À cette fin, la Chine doit jouer un rôle crucial dans l'écartement des obstacles posés par l'ingérence extérieure, afin d'empêcher que la coopération de l'Asie de l'Est ne soit remplacée par la coopération de l'Asie-Pacifique. Il faut garder à l'esprit qu'un pays continental et un pays insulaire affichent des caractéristiques géopolitiques différentes. Il convient pour la Chine d'encourager l'intégration de toute la région de l'Asie de l'Est au moyen de coopérations avec les pays continentaux dans les domaines des infrastructures, de l'économie et de la sécurité.
En somme, la stratégie chinoise pour la sécurité et le développement requiert au pays de faire appel à toutes ses forces pour lutter contre les menaces principales. En outre, la partie continentale de la Chine doit tenter de résoudre par tous les moyens la question de Taiwan au plus vite, afin d'élargir la sphère de sécurité et de développement en Asie de l'Est et dans le Pacifique Ouest.
Les frictions entre la Chine et l'Inde peuvent être contrôlées
Les litiges territoriaux entre la Chine et l'Inde ne datent pas d'hier, mais le phénomène semble s'aggraver ces dernières années, avec l'explosion récente d'une série de confrontations. Dans le même temps, l'Inde prête de plus en plus d'attention à l'Asie de l'Est et s'active à approfondir sa coopération, en particulier sur le plan militaire, avec le Japon, le Vietnam et les Philippines. Par ailleurs, suite à la visite en Inde en juillet dernier du vice-président américain Joe Biden, les relations américano-indiennes se sont renforcées. Les États-Unis ont souligné à plusieurs reprises qu'ils soutiendront le développement de l'Inde vers l'est de l'Asie, espérant la voir jouer un rôle stratégique plus important dans cette région à l'avenir. Il paraît évident que les États-Unis veulent se servir de l'Inde pour contenir la Chine. Toutes ces manœuvres ont sans doute accentué les facteurs d'instabilité auxquelles la Chine est en proie dans cette région.
Certes, les conflits territoriaux avaient autrefois résulté en une guerre entre la Chine et l'Inde. Cependant, ce ne sont pas actuellement ces différends territoriaux qui détériorent le plus les relations sino-indiennes. Le problème fondamental réside dans le fait que l'Inde ne veut pas voir la Chine devenir la grande puissance dominante de l'Asie, refusant de finir deuxième dans cette compétition. Par conséquent, l'Inde saute sur l'occasion offerte par la stratégie américaine de rééquilibrage en Asie-Pacifique : elle diffuse son influence vers l'est et intervient dans les affaires de l'Asie de l'Est, augmentant la pression que subit la Chine. Tel est le choix stratégique adopté par l'Inde. Toutefois, elle ne cherche qu'à resserrer l'étau autour de la Chine. En comparaison avec les États-Unis ou le Japon, elle n'a ni la force ni l'intention de combattre la Chine. Plus important encore, c'est avant tout l'océan Indien qui est vital pour l'Inde, pas l'Asie de l'Est ni l'océan Pacifique. Et dans cette zone, l'Inde est plus menacée par les États-Unis que par la Chine. Cela signifie que l'Inde contient la Chine tout autant qu'elle se prémunit face aux États-Unis, phénomène qui prendra de l'ampleur dans les années à venir.
Vu sous cet angle, il apparaît que les frictions, voire conflits, entre la Chine et l'Inde sur la question territoriale peuvent être contrôlés, tant en termes d'étendue que de gravité. L'Inde n'est pas l'ennemi de la Chine à tous égards. Ces désaccords ne s'apparentent pas à une menace stratégique fondamentale pour la Chine.
L'approfondissement des relations sino-russes
Le partenariat stratégique entre la Chine et la Russie continue de se développer. En juillet et en août, les deux pays ont organisé une manœuvre navale conjointe, « Joint Sea-2013 », la plus importante jamais réalisée dans l'histoire sino-russe, ainsi que l'exercice militaire anti-terroriste « Mission de paix 2013 ». La confiance politique entre les deux pays a atteint un niveau sans précédent, et la coopération militaire en situation de guerre réelle a franchi une nouvelle étape.
Depuis que les États-Unis mettent en œuvre leur stratégie de rééquilibrage en Asie-Pacifique, les forces américaines se sont nettement multipliées dans la région, alors que dans le même temps, s'observent de plus en plus manifestement la tendance politique droitiste du Japon et sa remilitarisation. La coopération militaire sino-russe renforcée permettra de freiner cette marche dangereuse. D'abord, elle sera propice à la formation d'un paysage stratégique équilibré en Asie de l'Est, et même dans toute l'Asie-Pacifique, en réponse au renforcement des alliances initié par les États-Unis. Ensuite, cette coopération militaire sino-russe deviendra un haut moyen stratégique de prévenir la remilitarisation du Japon et de modérer son attitude agressive quant à la question des îles Diaoyu.
La coopération sino-russe n'a jamais eu pour objectif de contrer les États-Unis. Toutefois, ces derniers pratiquent en Europe une politique d'écartement à l'égard de la Russie et en Asie-Pacifique, une stratégie d'encerclement à l'encontre de la Chine. Il s'agit de conditions extérieures qui poussent la Chine et la Russie à affermir leur coopération stratégique. La Mongolie tente de se rapprocher des États-Unis et du Japon, mais ses conditions géopolitiques l'empêchent de se brouiller avec la Chine ou la Russie. Dans ce contexte de resserrement des liens sino-russes, il est certain que la Mongolie n'adoptera pas une politique hostile envers la Chine, une perspective rassurante qui garantira la sécurité et la stabilité à long terme dans le Nord de la Chine.
Ces derniers mois, les États-Unis accélèrent les préparatifs politiques et militaires concernant le retrait de leurs troupes en Afghanistan. La guerre dans ce pays, qui a duré dix ans, a coûté la vie à plus de 4 000 militaires américains et causé de lourdes pertes financières aux États-Unis, des résultats comparables à ceux de la guerre du Vietnam. Même après le retrait de leurs troupes d'ici 2014, les États-Unis maintiendront une certaine présence militaire en Afghanistan. Il est pourtant clair que les États-Unis ne pourront contrôler l'avenir de cette nation. Par ailleurs, le Kirghizistan a demandé aux États-Unis de fermer avant le 11 juillet 2014 leur base aérienne de Manas implantée sur son territoire, alors qu'elle autorise la Russie, au contraire, à y étendre ses appuis militaires. Ces faits prouvent que la tentative des États-Unis d'étendre leur présence militaire en Asie centrale par le biais de la guerre en Afghanistan s'est soldé par un échec cuisant. La Chine n'aura donc pas de quoi s'inquiéter quant à la stabilité en Asie centrale suite au retrait d'Afghanistan des troupes américaines. La manœuvre militaire conjointe anti-terroriste qu'ont menée en août la Chine et la Russie dans le cadre de l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai) a bien prouvé que les deux pays étaient hautement capables de parer à toute force terroriste dans cette région. À vrai dire, ce sont souvent les États-Unis qui, par leur intervention, avivent toute sorte de forces extrémistes et provoquent l'éclatement de révolutions de couleur. S'opposer à l'ingérence extérieure est une condition préalable à l'établissement d'un climat de stabilité en Asie centrale. L'OCS jouera un rôle stratégique, non seulement pour barrer la route aux forces militaires américaines souhaitant s'immiscer dans les affaires des cinq pays d'Asie centrale, mais aussi pour élargir et maintenir la stabilité régionale.
*Ecrit par REN Weidong, chercheur adjoint à l'Institut des relations internationales contemporaines de Chine.