Comment la France et la Chine se positionnent-elles dans un environnement international en pleine mutation. Analyse des stratégies déployées par les deux puissances.
Le président français, François Hollande, a effectué une visite d'État en Chine les 25 et 26 avril 2013. C'est la première visite de François Hollande en Chine depuis son élection à la présidence de la République française et il est le premier chef d'État occidental à venir rencontrer le président chinois Xi Jinping après son entrée en fonction. Cette visite en Chine n'a duré que 37 heures, mais a obtenu des résultats substantiels.
Cette visite s'est réalisée à la veille du 50ème anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine, par conséquent, les dirigeants des deux pays y ont accordé une grande importance, la considérant comme une nouvelle opportunité d'approfondir leurs relations.
En 1964, à l'initiative du président français Charles de Gaulle et de son homologue chinois Mao Zedong, les deux pays ont décidé d'établir des relations diplomatiques au niveau des ambassadeurs. La France a été le premier pays occidental à établir des relations diplomatiques officielles avec la République populaire de Chine. Il faut souligner que le général de Gaulle a dû surmonter beaucoup d'obstacles et faire preuve d'indépendance d'esprit pour pouvoir prendre cette action diplomatique audacieuse et décisive. Cela lui a valu l'approbation et le respect général du monde entier.
Après l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, les successeurs du général de Gaulle et du président Mao n'ont pas cessé de maintenir et de resserrer ce lien. En 1997, le président chinois Jiang Zemin et le président français Jacques Chirac ont signé un communiqué conjoint sino-français, annonçant la mise en place d'un partenariat global tourné vers le 21ème siècle. En 2004, le président chinois Hu Jintao et son homologue français ont signé un autre communiqué conjoint transformant ce partenariat en un partenariat stratégique global. En 2010, M. Hu Jintao et M. Sarkozy ont publié la Déclaration conjointe franco-chinoise sur le renforcement du partenariat global stratégique, pour bâtir un partenariat global stratégique de type nouveau, mature, stable, basé sur la confiance mutuelle et les bénéfices réciproques, et tourné vers le monde. L'amélioration étape par étape des relations entre les deux pays démontre leur valeur stratégique accrue. Les faits montrent que la pleine conscience de la valeur stratégique de ce partenariat constitue la base de son développement.
Continuer à promouvoir le partenariat global stratégique
En ce moment où la situation mondiale se trouve complètement bouleversée et où le monde est confronté à de multiples nouveaux défis, pousser les relations entre les deux pays vers de nouveaux sommets est devenu pour les dirigeants français et chinois une mission importante dont ils sentent avoir la responsabilité. M. Xi Jinping a souligné lors de son entretien avec M. Hollande : « Dans la nouvelle situation, la Chine et la France doivent entretenir leur partenariat stratégique privilégié, se soutenir l'une l'autre, approfondir leur coopération et persister dans la voie de la coopération et des bénéfices réciproques entre deux pays aux systèmes politiques et aux traditions culturelles différents, afin de joindre leurs efforts pour démocratiser les relations internationales, rendre l'ordre international plus équitable et plus raisonable, faciliter l'élaboration collective des règles internationales en recourant aux consultations sur un pied d'égalité, régler pacifiquement les différends internationaux par le dialogue, maintenir la paix et la stabilité mondiale et favoriser la prospérité commune.
C'est au moment où la situation internationale connaît d'importantes mutations que M. Hollande se voit charger de la fonction de présider au destin de la France, qui doit faire face à de nombreux défis majeurs : la mondialisation, les effets négatifs de la tourmente financière internationale et de la crise de la dette européenne, le maintien de son rôle de grande puissance sur la scène internationale, etc. Dans ce contexte, il va sans dire que les relations franco-chinoises sont d'une énorme importance. M. Hollande a souligné : « Face aux différents défis planétaires, la France et la Chine, deux grandes puissances responsables, doivent intensifier leur dialogue, leur coordination et leur coopération sur les problèmes majeurs et œuvrer ensemble à améliorer la gouvernance économique mondiale ainsi qu'à maintenir la paix et la prospérité à l'échelle mondiale. La France s'attache à renforcer un partenariat franco-chinois global stratégique stable, basé sur la confiance mutuelle et les bénéfices réciproques. » Il a ajouté que le gouvernement français enrichirait le contenu de ce partenariat.
Dans le communiqué de presse conjoint sino-français publié à l'issue de la rencontre entre le président Xi Jinping et le président Hollande, on peut lire : « les chefs d'État des deux pays réaffirment prêter une grande attention aux relations sino-françaises et réitèrent l'importance immense de celles-ci dans la mesure où elles constituent un modèle de coexistence pacifique, de coopération gagnant-gagnant et de développement commun de deux pays aux différents systèmes sociaux et différentes traditions culturelles. Les deux parties sont prêtes à promouvoir le développement des relations bilatérales à une hauteur stratégique et sur le long terme, dans un esprit de stabilité, de respect mutuel et de bénéfices réciproques », « les dirigeants des deux pays sont déterminés à approfondir leur confiance politique et stratégique, à poursuivre le mécanisme de la réunion annuelle des chefs d'État, à intensifier les dialogues stratégiques en vue d'insuffler un nouveau dynamisme à l'approfondissement du partenariat global stratégique sino-français dans tous les domaines. Cela indique que les deux parties sont parvenues à un haut degré d'accord sur la promotion d'un partenariat global stratégique tourné vers l'avenir. Ce consensus politique jettera des bases solides pour le développement durable des relations amicales et coopératives entre la Chine et la France. C'est le résultat politique le plus significatif de la visite du président Hollande en Chine.
Progrès substantiels réalisés en matière de coopération économique et commerciale
Depuis la crise de la dette européenne en 2009, la situation économique française et même européenne reste stagnante dans son ensemble. Après avoir pris ses fonctions en mai dernier, M. Hollande a avancé le slogan de la « diplomatie économique », dans l'espoir de redresser l'économie française en intensifiant les coopérations économiques et commerciales avec les autres pays et régions, notamment les pays émergents. On peut en déduire que la visite de François Hollande en Chine vise principalement la coopération économique.
Globalement, les coopérations économiques et commerciales sino-françaises recèlent de potentialités car il existe entre les deux parties une complémentarité économique générale. La Chine, le plus grand pays en voie de développement du monde, abonde en ressources de main-d'œuvre et possède un vaste marché. La France est un pays développé industrialisé avec des produits et technologies avancés dans les domaines énergétique, aéronautique, agricole, pétrochimique et dans la protection de l'environnement. Les économies des deux pays se complètent mutuellement et le fondement de la coopération est solide, d'où un énorme potentiel pour le développement. Actuellement, la France est le quatrième partenaire commercial européen de la Chine, le quatrième investisseur en Chine et le deuxième pays exportateur de technologie vers la Chine, tandis que la Chine constitue le premier partenaire commercial de la France en Asie et le deuxième exportateur vers la France à l'échelle mondiale. Selon les données officielles fournies par les autorités chinoises, le volume du commerce bilatéral sino-français a atteint 51,02 milliards de dollars en 2012, dont 24,12 milliards de dollars pour les importations chinoises en provenance de France. Or, d'après les données officielles publiées par le gouvernement français en 2012, le déficit de la balance commerciale avec la Chine a atteint 26 milliards d'euros, soit environ 40% de la balance commerciale déficitaire globale française. Le déséquilibre du commerce bilatéral inquiète gravement la France. La France a affirmé à maintes reprises son souhait de rééquilibrer le commerce bilatéral dans une certaine mesure, sur la base des consultations entre les deux parties.
À cette fin, M. Xi Jinping et M. Hollande ont tour à tour exprimé leur vif souhait de renforcer la coopération économique et commerciale bilatérale lors de la cérémonie de clôture du Forum d'affaires sino-français où ils étaient tous deux présents.
M. Xi Jinping a déclaré dans son discours : « La coopération économique et commerciale est une partie indispensable du partenariat global stratégique sino-français. Dans le monde actuel, la mondialisation économique ne cesse de s'approfondir, créant de nouveaux défis comme de nouvelles opportunités pour nous. La Chine et la France jouissent d'une complémentarité économique remarquable et ont un énorme potentiel de coopération. Les deux pays doivent placer la coopération économique et commerciale à une hauteur stratégique pour la développer, chercher activement de nouveaux modes de coopération, en élargir le champ, et bâtir de concert un partenariat global stratégique de type nouveau, étroit, durable et sur le long terme. »
M. Hollande a souligné dans son intervention : « La France espère profiter du développement chinois pour participer à la croissance et la prospérité commune, ouvrir de nouveaux domaines de coopération, élargir le commerce bilatéral et réaliser des investissements à plus grande échelle. La France s'oppose résolument au protectionnisme et accueille à bras ouverts les investissements des entreprises chinoises en France. Nous encourageons les entreprises françaises à accéder au marché chinois et à partager leurs technologies. La Chine fait confiance à l'Europe et soutient les efforts de la zone euro pour répondre à la crise de la dette européenne. La France lui en est vivement reconnaissante. Elle veut promouvoir la coopération UE-Chine côte à côte avec la Chine. La France espère également travailler avec la Chine pour favoriser la réforme de la gouvernance économique mondiale et dynamiser sa croissance. Nous attendons avec confiance les futures coopérations bilatérales. »
Lors de la visite de M. Hollande en Chine, les gouvernements et les entreprises des deux pays ont signé de multiples documents de coopération, touchant à l'innovation scientifique et technologique, la protection de l'environnement, le développement urbain durable, la culture, le tourisme, l'énergie nucléaire, l'électricité, l'aviation, l'assurance financière, l'alimentation et la sécurité alimentaire, etc. Le contrat le plus remarquable est celui signé par la compagnie chinoise China Aviation Supplies (CAS) et Airbus, portant sur l'acquisition de 60 Airbus, dont quarante-deux A320 et dix-huit A330. C'est un résultat substantiel de la coopération économique et commerciale entre la France et la Chine.
Progrès notables de la « stratégie asiatique » de la France
Pour M. Hollande, les résultats obtenus au cours de cette visite revêtent une grande signification. Il faut voir ces résultats du point de vue de la « stratégie asiatique » mise en œuvre par le gouvernement français.
Après l'élection de François Hollande, l'Asie est devenue une des préoccupations du gouvernement français. Il y a peu de temps (le 29 avril), les autorités françaises publiaient un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. On pouvait y lire : « Ces considérations font de la région (l'Asie) une zone où notre pays conserve des intérêts stratégiques. » En juin dernier, le nouveau ministre de la Défense nationale Jean-Yves Le Drian a assisté à la Conférence sur la sécurité asiatique (le Dialogue Shangri-La) et a eu des entretiens bilatéraux avec ses homologues singapourien, australien, indien, japonais, indonésien, malais, sud-coréen et néo-zélandais. Il estime que la zone Asie-Pacifique d'aujourd'hui constitue « une zone où notre pays conserve des intérêts considérables » et que « la France jouera un rôle dans cette région ». En octobre dernier, le premier ministre français M. Ayrault a visité Singapour et les Philippines. Il a été le premier chef du gouvernement français à visiter Singapour depuis 20 ans et les deux parties ont signé une Déclaration commune sur le partenariat franco-singapourien. Il est aussi le premier dirigeant français à visiter Manille depuis l'établissement des relations diplomatiques franco-philippines en 1947. Cette visite a donc été considérée comme « un événement qui sert de point de repère ». M. Hollande a participé au 9ème Sommet de l'ASEM à Vientiane, la capitale du Laos. C'est la première fois que M. Hollande était présent en Asie depuis son entrée en fonction et il a été le seul chef d'État d'une puissance européenne présent à ce sommet. En février, M. Hollande a visité l'Inde et les discussions sur une vente d'avions Rafale, un contrat évalué à 12 milliards de dollars, ont largement progressé. Il est rapporté que le président français effectuera prochainement une visite officielle au Japon. Il est très évident que la visite en Chine de M. Hollande fait partie de sa « stratégie asiatique ».
La mise en œuvre d'une « stratégie asiatique » par la France n'est pas fortuite. Vu les nouveaux changements dans la situation sécuritaire dans la région Asie-Pacifique, la volonté de la France d'étendre sa présence et de jouer un rôle dans la région s'est fortement renforcée. Selon certains analystes, c'est en raison des quatre considérations suivantes que la France se montre intéressée par l'Asie :
Premièrement, la région indochinoise de l'Asie du Sud-Est a été colonisée par la France, qui entretient des relations spéciales avec les pays de cette région depuis leur indépendance. Ces dernières années, la France essaie d'étendre sa présence en Aise du Sud-Est et même dans la région Asie-Pacifique au travers de ses liens traditionnels avec le Vietnam, le Laos et le Cambodge.
Deuxièmement, le transfert de l'axe stratégique américain a grandement frustré l'Europe. Pour y répondre, la France a adopté la stratégie de suivre les États-Unis, tentant de jouer un rôle plus actif et différent de celui des États-Unis dans la région Asie-Pacifique.
Troisièmement, la tension en Mer de Chine méridionale inquiète les pays de l'Asie du Sud-Est, qui comptent ainsi sur l'Europe pour rétablir l'équilibre dans la région et faire en quelque sorte contrepoids à la Chine. L'implication de la France dans les affaires de l'Asie-Pacifique répond aux attentes des pays de l'Asie du Sud-Est.
Quatrièmement, la région Asie-Pacifique constitue un des principaux marchés de l'armement du monde, alors que la France en est l'un des plus grands fournisseurs. Le renforcement et la consolidation des relations franco-asiatiques facilitent l'exportation d'armes françaises de pointe.
Ce sont les raisons pour lesquelles est née la « stratégie asiatique » de la France. Il faut comprendre de cela que la place et le rôle de la Chine, grande puissance dans la région Asie-Pacifique, ne sont pas négligeables. Pour exercer sa « stratégie asiatique », la France doit prendre conscience et tenir compte des intérêts de la Chine afin de se gagner sa compréhension et sa coopération. C'est justement là que réside la signification profonde de la visite de François Hollande en Chine.
*SHEN Xiaoquan est chercheur du centre d'études des affaires internationales de l'Agence de presse Xinhua