À mesure que les liens entre la Chine et les États-Unis se resserrent, de nouveaux différends émergent entre les deux pays. Mais ces grandes puissances doivent apprendre à faire la part des choses pour relever conjointement les nouveaux défis du XXIe siècle.
2013 sera assurément une année marquée par les relations sino-américaines. D'un côté, avec l'achèvement de la transition du pouvoir en Chine, une équipe dirigeante plus jeune et dotée d'une plus grande conscience internationale est entrée en scène ; l'administration d'Obama vient d'entamer son second mandat et les affaires américaines intérieures et extérieures ont également connu de profonds changements ; les deux parties ont par ailleurs constitué de nouvelles équipes pour leur politique étrangère. De l'autre, le caractère concurrentiel des relations sino-américaines continue de s'intensifier, et les sujets controversés qui naissent au travers de ces liens s'étendent et s'approfondissent sans cesse. Mais les deux pays espèrent avec impatience la stabilité, la paix et la prospérité aux échelles mondiale et régionale. En tant que première et deuxième économies du monde, ils ne peuvent pas se dérober à leur responsabilité internationale sur ces points. Ils brûlent tous deux d'un ardent désir sans précédent de stabiliser et de développer les relations sino-américaines, ainsi que d'approfondir la coopération diplomatique et économique à divers niveaux et dans de nombreux domaines.
Nouveaux enjeux, nouveaux défis
Début 2013, les relations sino-américaines ne sont pas parties du bon pied. Deux raisons viennent expliquer cette tension politique entre les deux pays : les cyberattaques et la discrimination politique qu'a subie les investissements chinois aux États-Unis.
Au commencement de 2013, les milieux américains, gouvernementaux et non gouvernementaux, ont accusé d'une même voix la Chine de mener des cyberattaques à l'encontre des États-Unis. Tout d'abord, une société de cybersécurité privée a publié un rapport révélant une liste des 17 sociétés américaines qui avaient été la cible d'attaques organisées, perpétrées par des pirates informatiques chinois. Selon le rapport, ces hackers chinois possèdent un passé de militaire évident. Depuis un certain temps, le Congrès, les médias et le gouvernement des États-Unis profèrent sans ménagement toute sorte d'accusations et de critiques contre la Chine au sujet de ces « cyber-hackers ».
En fait, la Chine elle-même est victime de cyberattaques et de cyberpiratage. 60 % de ces actes malveillants à son encontre émanent des États-Unis. L'exagération délibérée et le grand tapage sur cette affaire de pirates informatique chinois qu'ont fomenté les milieux américains, au sein comme en dehors de l'administration Obama, ont non seulement semé le doute dans le monde, les gens craignant qu'une guerre cybernétique n'éclate entre la Chine et les États-Unis, mais ont aussi jeté une ombre sur les relations sino-américaines à l'ère d'Internet.
Le problème des cyberattaques concernant un nouveau domaine, un dialogue et des consultations entre la Chine et les États-Unis sont nécessaires pour élaborer des règles de sécurité Internet, applicables en commun. L'ingérence politique des États-Unis dans les activités commerciales des entreprises de télécommunications et des sociétés de nouvelle énergie chinoises sur le marché américain va se développer. Réaction typique, la donne s'inverse : les domaines économique et commercial qui servaient de « stabilisateurs » aux relations bilatérales traditionnelles deviennent désormais sources de heurts.
Le 8 octobre 2012, la Chambre des représentants aux États-Unis a adopté une résolution incriminant les fournisseurs chinois d'équipements en télécommunications Huawei et ZTE d'être impliqués sur le marché américain dans des activités « menaçant la sécurité nationale du pays ». Immédiatement, ces deux sociétés, soupçonnées d'aider le gouvernement chinois à écouter des informations confidentielles américaines par le biais de leur matériel de communication, ont fait l'objet d'une enquête de la part du gouvernement américain. Le 26 mars 2013, M. Obama a ratifié un projet de loi interdisant quatre agences gouvernementales américaines d'utiliser tout produit de télécommunications fabriqué intégralement ou partiellement par la Chine.
En apparence, il semblerait que ces différends ont trait au domaine de la sécurité nationale, mais ce sont les intérêts commerciaux et politiques américains qui sont réellement en jeu. Huawei, deuxième plus grand fabricant au monde de matériel de télécommunications, entretient des partenariats d'affaires avec 45 grands opérateurs à travers le globe. Pourtant, il n'a pu signer le moindre contrat avec un opérateur américain de poids. Si Huawei se développait sans encombre sur le marché américain, il arracherait des parts de marché à Cisco et à d'autres sociétés américaines du secteur. C'est la raison principale pour laquelle l'administration américaine a freiné la croissance de Huawei aux États-Unis, sous couvert de la « sécurité nationale ». Le « seuil de sécurité » qu'élèvent les États-Unis pour son marché domestique devient un obstacle majeur à l'approfondissement des relations économique et commerciale, ainsi qu'au flux d'investissements entre les deux pays.
Plus de controverses, plus de dialogue
En plus de ces deux exemples caractéristiques, de graves conflits et désaccords opposent la Chine et les États-Unis quant aux différends territoriaux sur les îles Diaoyu, sur la souveraineté des archipels en mer de Chine méridionale, ainsi qu'à propos de la situation militaire et de sécurité en Asie de l'Est. Les États-Unis continuent de prétendre que l'alliance américano-japonaise couvre les îles Diaoyu et qu'en cas de conflit militaire, ils prendront parti en faveur du Japon et appuieront solidement le contrôle effectif des îles Diaoyu par cette nation. Ces prétentions ont porté un coup dur à l'édification et au développement de la confiance stratégique mutuelle entre la Chine et les États-Unis. En février 2013, les États-Unis et le Japon ont discuté d'un programme d'action militaire conjointe sur les îles Diaoyu. Cet acte a accentué un peu plus encore les frictions sur cette question, menaçant la sécurité. En outre, les litiges sur les droits de l'homme se sont aussi accrus en 2013. Lors d'un violent incident survenu le 21 avril à Bachu, au Xinjiang, quinze travailleurs sociaux et agents de police avaient été tués par des séparatistes. Au lieu d'exprimer ses condoléances aux victimes chinoises, le porte-parole du Département d'État américain avait accusé la Chine, l'exhortant à réviser sa politique ethnique et à mener l'enquête de leur côté. En comparaison, suite aux attentats de Boston du 15 avril, dans lesquels trois personnes ont trouvé la mort, les dirigeants chinois avaient adressé dans un premier temps leur sympathie aux victimes américaines. Les faits ont prouvé que ces attentats à la bombe de Boston étaient en fait des représailles exercées par des criminels envers la société américaine, mais le gouvernement américain et les médias les avaient vivement critiqués, en les faisant passer pour des « activités terroristes ». Le fait que les discours américains aient nié le caractère terroriste des crimes perpétrés par les séparatistes du Xinjiang et accusé arbitrairement la politique des droits de l'homme de Chine a illustré pleinement le double standard des États-Unis.
Pourtant, les relations bilatérales sino-américaines sont sans doute celles les plus importantes et les plus complexes du monde au XXIe siècle. Mais plus les relations sino-américaines sont compliquées, plus les deux pays requièrent d'établir une communication, un dialogue, une coopération.
Après les « deux sessions » tenues en mars par la Chine, Jacob Lew, le secrétaire d'État américain au Trésor, a été le premier fonctionnaire du second mandat de l'administration d'Obama à effectuer une visite en Chine. Lors du séjour, il s'est entretenu avec des dirigeants chinois sur les cyberattaques et d'autres sujets économique, commercial et financier préoccupant les deux pays. Le 12 avril, le secrétaire d'État américain John Kerry s'est rendu en Chine. Avec des dirigeants chinois, ils ont échangé des idées sur de nombreuses questions, telles que celles relatives à la République populaire Démocratique de Corée (RPDC), l'Iran, la politique macroéconomique, l'accès aux marchés, la cybersécurité, la sécurité énergétique et le changement climatique. Ils ont également discuté de la fondation d'un nouveau mécanisme de coopération plus efficace et du contenu de celui-ci. Le 22 avril, le Chef d'États-major des armées des États-Unis (Joint Chiefs of Staff), le général Martin E. Dempsey, a visité la Chine et rencontré le chef d'État-major général chinois, Fang Fenghui. Le 24 avril, le sous-secrétaire d'État William Burns a atterri à Beijing et mené avec les dirigeants chinois des consultations approfondies sur la question nucléaire de la RPDC et sur une série de sujets d'intérêt commun ayant trait à la sécurité régionale. Poussées par cette succession de rencontres de haut niveau, les deux parties ont convenu de mettre en place un groupe de travail compétent en cybersécurité, dans le cadre du dialogue stratégique et économique sino-américain, favorable à une communication permanente entre les deux parties sur ce thème. Pour ce qui est de l'abandon des armes nucléaires par la RPDC, les deux parties continuent également à rapprocher leurs politiques. Réaliser la dénucléarisation de la péninsule coréenne est redevenu un important point d'ancrage dans la coopération sino-américaine.
Dans les relations Chine—États-Unis actuelles, il ne faut pas mettre l'accent sur les différences et la concurrence entre les deux pays, mais plutôt sur les méthodes pour les dépasser. Si ces deux nations continuent de mettre en œuvre les moyens nécessaires à l'approfondissement de leur coopération pragmatique, les relations sino-américaines pourront maintenir de bonnes perspectives et tendront vers la stabilité, en dépit des désaccords.
En 2013, nous avons des raisons de penser que le processus de communication et de coopération entre la Chine et les États-Unis deviendra plus institutionnalisé et plus efficace. Le mécanisme de dialogue régulier et fructueux entre les dirigeants des deux pays, en particulier, sera un modèle de relations bilatérales au XXIe siècle, de coopération régionale et de stabilité mondiale.
ZHU Feng est professeur à l'Institut des relations internationales de l'Université de Beijing.