Dans le contexte de l'urbanisation, la manière dont les populations migrantes rurales s'intègrent dans les villes et parviennent à transformer leur identité est une question centrale. Selon le rapport d'enquête de 2014 sur les travailleurs migrants chinois, 21 % du groupe a migré avec toute sa famille. Des études empiriques indiquent que les opportunités d'emploi qui répondent aux besoins des familles délocalisées sont principalement informelles et basées sur l'auto-emploi dans les zones urbaines. Par la suite, ce modèle de travail indépendant facilite la mobilité urbaine de leurs enfants. Le concept de « famille et entreprise intégrées » fait référence aux populations migrantes rurales qui obtiennent des moyens de subsistance stables dans les villes grâce à des méthodes d'emploi informelles. Elles résident dans des « villages urbains » ou dans des communautés hyperlocales établies et tiennent de petites boutiques, travaillent comme vendeurs de rue et exercent d'autres activités économiques informelles, atteignant ainsi l'objectif de cohabitation familiale et de développement des revenus dans la ville.
Le développement professionnel
De 2020 à 2022, notre équipe de recherche a utilisé une approche qualitative pour étudier une petite communauté de migrants au sein d'une grande zone métropolitaine. L'équipe de recherche a interrogé 44 ménages au total, dont des vendeurs ambulants, des vendeurs de snacks et des propriétaires de sites de recyclage. Les familles sélectionnées pour cette étude de cas étaient des couples de travailleurs vivant ensemble. Les chercheurs se sont également intéressés au développement de la génération suivante, c'est-à-dire à la manière dont leurs enfants sont parvenus à s'urbaniser. Il existe plusieurs exemples différents d'urbanisation familiale : La première catégorie comprend les enfants qui ont obtenu la résidence ou la « citoyenneté » dans la nouvelle ville ou qui ont rempli les conditions de réinstallation, ce qui peut signifier que leurs parents ont investi dans une propriété dans les limites de la ville ou qu'ils ont suivi un enseignement professionnel ou supérieur. Au total, 22 cas ont été recensés dans cette catégorie. La deuxième catégorie comprenait les personnes dont les parents ne s'étaient pas officiellement réinstallés, mais dont les enfants étaient inscrits dans une école locale de la ville et y recevaient une éducation. Ces cas d'urbanisation « en cours » totalisaient 9 familles. Les 13 cas restants n'avaient pas encore atteint le stade de l'urbanisation locale. Parmi eux, 8 ne remplissaient pas les conditions d'installation et 5 avaient encore des enfants scolarisés dans leur ville d'origine.
Les stratégies de subsistance de ces petites entreprises familiales varient, mais elles ont en commun une gestion flexible et une exploitation conjointe principalement dirigée par des couples, incarnant la caractéristique typique d'une « famille et d'une entreprise intégrées ». L'intégration de la main-d'œuvre familiale et la division flexible du travail au sein d'une unité familiale constituaient la base de leurs activités professionnelles. L'environnement résidentiel et ses environs offraient des conditions spatiales propices à l'exercice de leurs activités professionnelles, tandis que le réseau de relations familiales offrait des canaux flexibles pour les membres qui démarraient ou quittaient leur entreprise d'origine.
Tout d'abord, l'exploitation d'une échoppe nécessite généralement la coordination d'au moins deux travailleurs. Lorsque le développement des moyens de subsistance est étroitement lié aux besoins financiers d'une famille, la coopération entre les conjoints est le modèle de travail le plus pratique. Deuxièmement, les chercheurs ont constaté le recours fréquent à une main-d'œuvre familiale auxiliaire, notamment des personnes d'âge moyen et des personnes âgées, des femmes ayant accouché et, parfois, des travailleurs souffrant de handicaps physiques. L'exploitation d'une échoppe permet aux propriétaires de petites entreprises d'intégrer et d'utiliser ces forces de travail familiales non traditionnelles, ce qui se traduit par des revenus plus élevés. Enfin, il y a l'extension continue des heures d'ouverture et l'intensification de la main-d'œuvre. Les activités des échoppes se déroulent généralement le soir et tard dans la nuit, après les heures de travail normales et lorsque les travailleurs traditionnels se reposent.
L'environnement spatial des foyers de travailleurs migrants n'a pas été étudié auparavant. À l'époque de l'agriculture traditionnelle, l'intégration des habitations et des entreprises dans l'espace facilitait le progrès mutuel. Des études montrent que le fait de situer le domicile (généralement un logement loué) à proximité du lieu de travail contribue à la stabilité des moyens de subsistance. L'intégration des frontières spatiales entre le « travail » et le « domicile » peut réduire les coûts dans la ville. Dans le même temps, la proximité du domicile permet aux vendeurs d'élargir leurs relations sociales et de s'adapter ainsi à l'environnement commercial fréquemment fluctuant de la localité. Nous avons également observé que l'utilisation du « domicile » en tant qu'espace communautaire de travail étendu permet aux vendeurs d'échapper aux réglementations en matière de gestion urbaine.
En raison de la concurrence féroce et des fréquentes contraintes réglementaires auxquelles les vendeurs de rue sont confrontés dans les villes, leurs activités sont souvent instables. Les mécanismes d'adaptation des vendeurs de rue impliquent de nombreuses transitions flexibles au sein de leurs activités commerciales tout en conservant un modèle de subsistance stable. Le réseau de relations familiales joue un rôle crucial dans l'adaptation à ce processus.
Les populations migrantes rurales s'appuient sur les relations familiales pour obtenir des opportunités de vente dans la rue et même pour établir des racines locales pour leurs familles. Avant de s'aventurer dans la vente ambulante, de nombreuses personnes ont exercé divers métiers. De la création de leur petite entreprise à l'établissement d'une communauté, la plupart des gens s'appuient sur leurs relations familiales. Lorsque l'environnement commercial change, les vendeurs s'appuient également sur les relations de parenté pour faire évoluer leurs moyens de subsistance, généralement en empruntant de l'argent à des proches, en acquérant de nouvelles compétences professionnelles ou en échangeant des informations pour faciliter les transitions professionnelles.
Le développement de la famille
Les différents éléments de la famille contribuent à la création de l'entreprise, tandis que la création et la pratique de l'entreprise affectent également le processus de développement de la famille. Les vendeurs accordent la priorité à l'urbanisation de leurs enfants et à leurs perspectives d'avenir en tant que tâche centrale de la famille. La clé du progrès réside dans la manière dont les trois étapes de l'éducation des enfants s'alignent sur leurs pratiques de subsistance. Pendant la phase de naissance, la génération plus âgée est souvent absorbée par la famille en tant que main-d'œuvre, tandis que les jeunes parents subissent une transformation identitaire et établissent de nouvelles formes de coopération économique. Au fur et à mesure que leurs enfants grandissent, la poursuite d'une éducation en ville (plutôt que dans leur ville natale) devient la principale exigence de la famille. Lorsque leurs enfants atteignent l'âge adulte, la division du travail au sein de la famille se transforme à nouveau et le modèle « famille et entreprise intégrées » peut se désintégrer ou évoluer. À ce moment-là, l'installation des enfants adultes en ville devient l'objectif ultime de la famille.
D'après les entretiens, la période qui s'étend de la naissance d'un bébé à son entrée à l'école maternelle est une période difficile pour le développement de la famille, car l'éducation des enfants nécessite des soins intensifs et des dépenses importantes. Pour répondre à ces besoins, les jeunes qui travaillent dans le secteur des services ou dans des usines choisissent souvent de se reconvertir dans la vente ambulante, intégrant ainsi étroitement « famille » et « entreprise ». La vente ambulante fournit un revenu relativement stable et permet aux familles de concentrer leurs dépenses sur les questions liées à leurs enfants. En outre, la vente ambulante peut intégrer en douceur le travail familial, avec la flexibilité de répartir le travail et de réunir les membres de la famille, ce qui est également propice à la vie avec des nouveau-nés.
La phase de croissance des enfants correspond généralement à la période d'enseignement obligatoire et, dans certains cas, elle peut s'étendre jusqu'à la phase de l'enseignement secondaire. Au cours de cette phase, la manière d'utiliser les ressources de la famille pour soutenir l'éducation des enfants devient la tâche la plus cruciale pour le développement de la famille. Contrairement à la situation typique des travailleurs migrants, qui ne peuvent pas vivre avec leurs enfants en raison des contraintes liées à des conditions de vie et de travail difficiles, le modèle de coopération familiale basé sur la collaboration entre époux permet de gérer simultanément les tâches liées à l'éducation des enfants, telles que le transport et l'aide aux devoirs, et les activités de subsistance. La flexibilité d'une approche « famille et entreprise intégrées » permet des transitions spatiales, maintenant ainsi la stabilité de l'accès de leurs enfants aux ressources éducatives urbaines. Les travailleurs migrants peuvent adapter leurs lieux de vie et leurs modèles d'entreprise aux besoins spécifiques de l'éducation de leurs enfants en changeant facilement de lieu de location.
La phase où les enfants atteignent l'âge adulte coïncide généralement avec leur inscription à l'université ou leur entrée sur le marché du travail. À ce stade, les familles de vendeurs de rue sont confrontées à la nouvelle tâche d'aider leurs enfants à fonder leur propre famille et à installer la nouvelle génération dans la ville. La plupart des enfants des familles de vendeurs de rue interrogées ont atteint l'âge adulte au cours des dernières années. Si l'on se penche sur l'histoire du développement de ces familles, on constate que la vente de rue a été une stratégie de survie temporaire pour la génération la plus âgée, et qu'il y a peu d'indices de succession d'entreprise entre les générations. La plupart des enfants de ces vendeurs ont terminé le lycée professionnel, l'université ou l'enseignement supérieur, ont obtenu l'enregistrement des ménages urbains ou remplissent les conditions requises pour s'installer, ce qui leur offre un plus grand choix de moyens de subsistance et des possibilités d'intégration dans la ville où ils vivent désormais.
Lorsque les familles de vendeurs de rue accumulent un certain nombre de richesses et de réseaux de relations urbaines, ces ressources deviennent une base importante sur laquelle leurs enfants peuvent s'appuyer lorsqu'ils s'installent en ville. Les moyens de subsistance de la famille subissent une transformation intergénérationnelle, la nouvelle génération pouvant s'appuyer sur les fondations construites par l'ancienne pour obtenir des emplois plus stables en ville. Toutefois, l'objectif d'offrir de meilleures conditions à la génération suivante persiste au sein de la famille. La génération plus âgée ne prendrait sa « retraite » que si la génération suivante s'est clairement établie dans la ville.
La conclusion
Le modèle « famille et entreprise intégrées » est le fruit de l'interaction globale entre les systèmes urbains et ruraux de la Chine et la culture familiale. Ce modèle d'urbanisation présente à la fois une résilience et des limites. Tout d'abord, le modèle « famille et entreprise intégrées », grâce à son autonomie et à sa flexibilité, peut contourner les difficultés qui existent dans les systèmes d'usine, ce qui permet d'utiliser directement les bénéfices pour le développement de la famille. Deuxièmement, l'espace partagé entre « entreprise » et « famille » favorise un sentiment d'appartenance dans les familles urbaines et façonne des pratiques éthiques uniques, facilitant la planification et l'organisation de l'installation de la prochaine génération dans la ville. Enfin, le modèle « famille et entreprise intégrées » intègre fermement les populations mobiles dans les communautés urbaines, jetant ainsi les bases de leur intégration urbaine.
La plupart des moyens de subsistance des populations mobiles sont bas de gamme et peu compétitifs, ce qui les rend susceptibles d'être déplacés et éliminés par des secteurs de consommation haut de gamme façonnés par des capitaux à grande échelle ou des opérations en chaîne. Les petites entreprises de services, les commerces de détail et les modèles familiaux relèvent des secteurs économiques informels au sein de la communauté. Si l'un de ces liens est perturbé, l'écosystème de la communauté tout entière peut s'effondrer, et l'environnement spatial global et les ressources relationnelles sur lesquels repose l'« entreprise familiale intégrée » peuvent devenir insoutenables.
Toute modification de l'environnement spatial urbain ou toute mesure réglementaire affectant les espaces urbains aura également une incidence sur les fondements spatiaux de l'« entreprise ». Ces dernières années, avec l'amélioration des réglementations urbaines et la montée en puissance de diverses initiatives visant à améliorer les villes et l'assainissement urbain, les gouvernements locaux ont mis en œuvre une série de stratégies visant à renforcer les droits de gouvernance spatiale, ce qui pose des défis aux secteurs économiques informels et aux travailleurs migrants qui dépendent des occupations spatiales.
En suivant la logique des actions des travailleurs migrants, nous constatons que leur aspiration ultime est de parvenir à l'urbanisation par le biais du développement de la famille. Cela correspond à la tendance générale du mouvement démographique chinois, qui passe de la migration individuelle à la relocalisation de la famille. Le modèle « famille et entreprise intégrées » identifie précisément les mécanismes sociaux à l'origine de ce mouvement de population. Cette étude montre que le modèle de relais intergénérationnel et les pratiques de travail familial éthiques peuvent être un moyen simple pour les agriculteurs chinois de s'urbaniser, offrant une alternative aux méthodes d'acquisition de la citoyenneté précédemment étudiées ou à l'accent mis récemment sur l'absorption des travailleurs migrants par l'urbanisation locale pour combler les écarts entre les familles. Elle met en lumière les ressources informelles sur lesquelles s'appuient les communautés rurales, plutôt que les droits et ressources formels des zones urbaines. En ce sens, le modèle « famille et entreprise intégrées » revêt une importance pratique dans diverses villes chinoises et contextes urbains-ruraux.