Le Rapport d'activité du gouvernement 2025, s'engageant à faire avancer l'initiative « IA Plus », propose de soutenir l'application extensive des grands modèles d'IA et de développer vigoureusement les nouveaux terminaux intelligents et les équipements de fabrication intelligente. Comme les révolutions technologiques précédentes, l'IA en tant que technologie à usage général sera largement appliquée dans tous les secteurs, remodelant les structures économiques et industrielles et incitant à des ajustements structurels sur le marché du travail. Dans ce contexte, quels chocs et impacts structurels la technologie de l'IA apportera-t-elle au marché du travail chinois, et comment devrions-nous répondre ?
Effets doubles de substitution et de création d'emplois
L'IA désigne les technologies capables d'effectuer des tâches faisant preuve d'une intelligence de type humain. Grâce à l'application de l'apprentissage automatique et des réseaux neuronaux, l'IA a réalisé des progrès révolutionnaires ces dernières années. Ces technologies excellent dans des domaines tels que la reconnaissance d'images, la traduction vocale, la conduite autonome, le service client intelligent et l'IA générative basée sur de grands modèles, permettant l'automatisation de tâches qui étaient autrefois considérées comme l'apanage du travail humain.
Dans ce nouveau paradigme technologique, quels emplois sont susceptibles d'être remplacés en premier ? Les recherches montrent que les tâches répétitives et celles dont les procédures sont bien définies se prêtent le plus facilement au codage et donc à l'automatisation. Avec les progrès et l'amélioration des technologies d'IA, cette substitution s'est progressivement étendue — du travail manuel au travail cognitif, et des emplois faiblement qualifiés vers des emplois plus qualifiés. Auparavant, les robots industriels et les bras robotisés remplaçaient les ouvriers des chaînes de montage dans l'industrie manufacturière, tandis que les distributeurs automatiques et les guichets automatiques bancaires se substituaient aux vendeurs et aux caissiers de banque. Plus récemment, les effets de substitution sont également apparus dans les industries à forte intensité de connaissances et de technologie : l'IA s'est avérée efficace dans le diagnostic par imagerie médicale ainsi que dans la recherche et la génération de documents juridiques, et a commencé à remplacer des emplois tels que radiologues et assistants juridiques.
Dans la pratique, la substitution par l'IA dépend non seulement de la faisabilité technique du codage des tâches, mais aussi de considérations de coût. Au fil du temps, avec la baisse du prix des équipements numériques, les entreprises adopteront davantage l'IA dès lors qu'elle permet de réaliser des économies.
À l'heure actuelle, l'IA spécialisée progresse rapidement et peut même, pour certaines tâches spécifiques, surpasser les capacités humaines. Progressant de manière exponentielle, elle repousse constamment les limites de son champ et de sa profondeur de substitution au travail humain. Cependant, l'IA éprouve encore des difficultés à accomplir la pleine gamme des tâches intellectuelles que les humains peuvent réaliser. L'avenir de l'intelligence artificielle générale reste incertain : son développement implique un coût prohibitif, et la question de sa réalisation véritable fait toujours débat. En particulier, lorsque les tâches de production sont complexes et nécessitent de l'interaction, de la prise de décision ou du raisonnement, le travail humain conserve un avantage manifeste.
Si l'IA se substitue à certains emplois, elle fait simultanément émerger de nombreux nouveaux métiers. Les professions constituent une forme typique de division sociale du travail, et différents métiers sont souvent complémentaires. Une fois que l'IA remplace les tâches simples et routinières, les travailleurs peuvent se concentrer sur les domaines et rôles qu'elle ne peut assumer, en mobilisant la pensée abstraite, la créativité et le jugement proprement humains.
Les études montrent que l'IA vient compléter certaines tâches non routinières. Les tâches cognitives non routinières exigent des capacités d'analyse et de réflexion, comme en témoignent les métiers de programmeur, d'analyste et d'ingénieur. Plus largement, les tâches interactives non routinières s'appuient sur l'expérience professionnelle et les compétences relationnelles, à l'image des fonctions exercées par les médecins, enseignants et avocats. Ces tâches non routinières se prêtent difficilement au codage et à l'automatisation ; dans ces domaines, l'IA constitue un outil complémentaire qui améliore la productivité des travailleurs.
Par ailleurs, la diffusion de l'IA génère une demande de professionnels pour former, utiliser et entretenir ces systèmes, faisant émerger de nouveaux métiers tels que formateur en IA, ingénieur en algorithmique et spécialiste en exploitation multimédia.
Impact structurel de l'IA sur le marché du travail
L'IA remanie la structure professionnelle en transformant la division du travail. Premièrement, la substitution de la main-d'œuvre humaine par l'IA supprime certains métiers traditionnels. Lorsque les tâches principales d'un emploi peuvent être exécutées par l'IA, les machines intelligentes — incarnant le capital - prennent en charge ce segment de la division du travail, et le facteur humain se retire. Les emplois caractérisés par des tâches simples et de faibles exigences de compétences sont les premiers à être remplacés et à disparaître de la scène sociale, à l'image des ouvriers des chaînes de montage, des guichetiers, des caissiers et des employés de bureau.
Deuxièmement, l'application de l'IA génère continuellement de nouveaux postes, métiers et industries. En premier lieu, les applications pilotées par l'IA stimulent de nouvelles forces productives, élevant la productivité sociale et rehaussant les revenus des ménages, ce qui étend ensuite les industries de services à élasticité-revenu élevée et crée des emplois dans des domaines tels que la santé, l'éducation et les loisirs. Par ailleurs, la recherche et l'application de l'IA reposent sur le soutien d'industries à forte intensité technologique comme les technologies de l'information, la science des données et la fabrication de semi-conducteurs, stimulant ainsi la demande de professionnels hautement qualifiés dans ces secteurs.
Enfin, le rôle de l'IA dans la modernisation et la transformation des industries traditionnelles a créé un nombre important de nouveaux métiers et postes. Selon le Rapport sur le futur de l'emploi 2025 du Forum économique mondial, la demande pour des fonctions telles que spécialistes du big data, ingénieurs en fintech et experts en IA augmentera de plus de 80% au cours des cinq prochaines années. Entre 2019 et 2021, le Ministère chinois des Ressources humaines et de la Sécurité sociale a annoncé plus de 50 nouveaux métiers. Ceux-ci incluaient des fonctions liées à l'IA comme les ingénieurs en cloud computing et les spécialistes du big data, des opérateurs et techniciens de maintenance de robots industriels créés grâce à la modernisation industrielle, ainsi que des postes émergents dans les industries de services modernes tels que les spécialistes du marketing internet et les facilitateurs d'apprentissage en ligne.
Les compétences désignent les aptitudes que les travailleurs doivent posséder pour accomplir des tâches professionnelles, et l'IA remodelé les exigences fondamentales en matière de compétences sur le marché du travail. Tout d'abord, les exigences de compétences et les structures de tâches des métiers existants évoluent, avec un accent croissant sur les compétences non routinières. Par exemple, avec l'adoption généralisée des ordinateurs personnels et des logiciels de bureau, les secrétaires n'ont plus besoin de maîtriser la dactylographie mécanique mais doivent exceller dans la culture numérique, l'utilisation de logiciels, le travail d'équipe et la communication organisationnelle.
Deuxièmement, alors que l'IA remplace les emplois routiniers et en génère de nouveaux, la division du travail gagne en spécialisation. Les travailleurs doivent désormais posséder non seulement des compétences professionnelles spécifiques à leur domaine, mais aussi la capacité de collaborer de manière interdisciplinaire. Cela accroît la demande de compétences cognitives et sociales — ces deux « compétences douces » que l'IA ne peut facilement remplacer. Ces dernières années, la demande et les primes salariales pour ces compétences ont toutes deux augmenté. À l'avenir, le développement de la culture numérique IA et de la capacité à appliquer l'IA sera tout aussi crucial. Les travailleurs devront tirer parti de la collaboration homme-machine, se concentrer sur les tâches hors de portée de l'IA, et continuellement apprendre et élargir leur panel de compétences pour réduire le risque de remplacement.
Prendre des mesures proactives pour faire face à l'impact de l'IA
Le Secrétaire général du Comité central du Parti communiste chinois, Xi Jinping, a déclaré lors de la dixième réunion du Comité central des affaires financières et économiques en août 2021 que "une nouvelle révolution technologique et une transformation industrielle constituent une puissante force motrice pour le développement économique et exercent un impact considérable sur l'emploi et la répartition des revenus, y compris certains effets négatifs qui doivent être réglés efficacement."
L'IA exerce des effets structurels divers sur le marché du travail. À long terme, son rôle dans la modernisation des industries traditionnelles et la création de nouveaux métiers soutiendra un emploi de plus haute qualité. À court terme, cependant, elle crée également des frictions au sein du marché du travail, ce qui entraîne du chômage et des pertes d'efficacité. Les services gouvernementaux doivent adopter une combinaison bien coordonnée de politiques diversifiées et structurelles pour atténuer efficacement les chocs temporaires de l'IA sur le marché du travail.
Du point de vue de la structure professionnelle, les travailleurs occupant des emplois routiniers sont particulièrement vulnérables aux impacts négatifs de l'IA. Avec la baisse de la demande pour ces travailleurs, ils peuvent être contraints de quitter leur emploi, ce qui entraîne une perte de revenus et une réduction des prestations sociales. Les travailleurs faiblement qualifiés et les travailleurs d'âge moyen ou plus âgés constituent la majorité de ce groupe, et pour eux, l'acquisition de nouvelles compétences et la recherche d'un nouvel emploi nécessitent souvent plus de temps. Durant cette période transitoire, les autorités concernées doivent mettre en place des mesures de protection sociale adaptées régionalement et dispenser des formations ciblées aux groupes défavorisés sur le marché du travail.
Du point de vue de la structure des compétences, le développement des qualifications représente une « variable lente ». Le système éducatif doit jouer un rôle précurseur dans la formation des aptitudes et compétences des étudiants. L'enseignement supérieur et la formation professionnelle doivent être optimisés de manière dynamique, tant dans les cursus que les spécialisations, pour répondre aux besoins des nouveaux métiers et compétences à l'ère de l'IA. Il convient d'accorder une place plus importante au développement de l'esprit critique et de la capacité d'innovation des étudiants, ainsi qu'aux « compétences douces » comme la communication et le travail d'équipe. Parallèlement, les travailleurs doivent prendre l'initiative d'apprendre et d'utiliser les outils d'IA, en développant une capacité à résoudre des problèmes complexes en collaboration avec les machines. À l'échelle sociétale, il faut instaurer une culture d'apprentissage agile et continu pour aider les travailleurs à s'adapter au développement exponentiel et à l'itération rapide des technologies d'intelligence artificielle.
Si l'on doit se concentrer sur les effets disruptifs de l'IA sur l'emploi, il est tout aussi crucial de tirer parti de l'IA pour améliorer la qualité du travail. Sur le marché du travail actuel, les compétences pratiques peuvent compter davantage que les diplômes formels, et l'essor des plateformes numériques a renforcé l'efficacité de l'adéquation entre les compétences et les emplois. En améliorant l'appariement travailleur-emploi, les plateformes numériques peuvent non seulement augmenter les revenus des travailleurs, mais aussi stimuler la productivité des entreprises.
Chen Lin est professeure à l'École de l'Économie et de la Gestion de l'Université normale de la Chine de l'Est ; Gao Yuepeng est rattaché à l'École de l'Économie de l'Université des Finances et de l'Économie de Shanghai.