Le développement rapide et la large application de l'intelligence artificielle (IA) ont eu un impact sans précédent sur divers secteurs de la société, remettant en cause les modes de production, les styles de vie, les schémas de pensée, les approches d'apprentissage et les valeurs établis. Par conséquent, l'enseignement de la philosophie, qui concerne non seulement la pensée humaine mais plus fondamentalement le sens et la valeur de l'existence humaine, mérite une attention accrue à l'ère de l'IA.

Reconsidération des priorités éducatives à l'aune de l'IA

Malgré les progrès technologiques, l'enseignement de la philosophie reste indispensable à l'ère de l'IA. Le mode d'interaction de base avec les outils d'IA — qu'il s'agisse d'éducateurs ou d'apprenants — consiste à saisir des invites ou des questions et à recevoir des réponses en retour. Pourtant, la profondeur et la créativité des questions dépendent principalement de l'interrogateur humain, et non du système d'IA. Sans questionnement de qualité et créatif, le contenu généré par l'IA ne répondra pas aux attentes. La valeur primaire de l'enseignement philosophique réside dans le développement des capacités logiques et raisonnables des étudiants. Celles-ci ne sont pas l'apanage exclusif de la philosophie mais devraient être des qualités fondamentales pour tous les éducateurs et apprenants de toutes disciplines. Une dépendance excessive à l'IA pourrait diminuer la mémoire, la lecture, la capacité d'analyse et la conscience de soi des apprenants, conduisant à ce que le philosophe français Bernard Stiegler a qualifié de « bêtise systémique ». L'enseignement de la philosophie est donc un moyen essentiel de favoriser la réflexion critique et de sauvegarder l'agencéité humaine.

L'importance accordée à l'IA dans le domaine de l'éducation reflète essentiellement l'accent mis par l'humanité sur la raison instrumentale depuis les Lumières. Les établissements scolaires cherchent à exploiter les outils d'IA pour aider les élèves à acquérir des connaissances et des compétences plus efficacement. Pourtant, à mesure que l'IA continue d'évoluer, le modèle éducatif traditionnel visant à faire des individus des « instruments utiles » pourrait perdre de sa pertinence. Certains universitaires chinois soutiennent que l'éducation déplacera progressivement son attention des aspects standardisés et quantifiables de la vie humaine vers des dimensions plus intrinsèques et personnelles, permettant ainsi à l'éducation de remplir plus pleinement son rôle dans la facilitation de l'épanouissement individuel. D'autres estiment que les tâches facilement réalisables par l'IA ne devraient pas être au cœur de l'éducation, laquelle devrait plutôt mettre l'accent sur le développement humain — favoriser la pensée critique, prodiguer des soins spirituels et cultiver la sensibilité esthétique créative. Atteindre ces objectifs — épanouissement personnel, nourriture spirituelle et cultivation esthétique — exige l'enseignement philosophique.

Réaffirmer la pertinence actuelle de l'enseignement philosophique

L'ère de l'IA met en lumière une question aux implications considérables pour l'existence humaine : le sens de la vie. Alors que la technologie progresse rapidement, de nombreuses professions actuellement estimées et très recherchées pourraient finalement être exercées bien plus efficacement par l'IA que par les travailleurs humains. La « condition post-humaine » pourrait même surgir, dans laquelle la grande majorité serait jugée « inutile ». Même si la croissance économique pilotée par l'IA établit une société prospère de l'État-providence, une fois les besoins matériels satisfaits, les individus devront encore affronter un défi plus profond : le sens de l'existence. Intimement lié à cela, le rétrécissement de l'écart entre les humains et les machines intelligentes nous contraint à reconsidérer l'essence de l'humain. Aborder ces questions implique nécessairement la réflexion philosophique.

Comment, dès lors, l'enseignement philosophique devrait-il être dispensé à l'ère de l'IA ? De nombreux étudiants contemporains dépendent massivement d'informations fragmentaires obtenues sur Internet et manquent de patience pour un engagement systématique et approfondi avec les textes classiques. Il est donc essentiel, même à l'ère numérique, de cultiver la capacité de lecture attentive — particulièrement pour s'engager avec les classiques philosophiques. Ces œuvres représentent l'apogée de la pensée humaine et de l'accomplissement intellectuel, offrant des perspectives profondes sur les questions ultimes concernant la valeur de la vie humaine et le sens de l'existence humaine.

À présent, l'éducation à la littératie numérique est déjà intégrée dans les programmes scolaires chinois, tandis que l'enseignement philosophique demeure largement confiné aux disciplines académiques de niveau universitaire. Pour répondre aux besoins d'enseignement philosophique à l'ère de l'IA, il pourrait être nécessaire de promouvoir la formation philosophique générale dans les établissements d'enseignement supérieur, tout en introduisant des contenus philosophiques — particulièrement la formation en logique et raisonnement étroitement liés à l'IA — dans l'éducation primaire et secondaire.
 

Jiang Qiuliu est professeur associé à l'École de la Philosophie de l'Université normale du Shaanxi.