Les contrefaçons d'œuvres d'art sont généralement considérées comme des créations trompeuses, souvent associées à l'économie, à l'éthique et au droit plutôt qu'à l'esthétique. Cependant, depuis le 20e siècle, le monde de l'art a connu plusieurs incidents importants liés à la falsification d'œuvres d'art, tels que le « scandale Van Meegeren » dans les années 1940. Les faux ne perturbent pas seulement le marché de l'art, ils remettent également en question les notions conventionnelles d'esthétique et d'histoire de l'art, obligeant les chercheurs à se confronter aux questions qu'ils soulèvent et à les traiter.
La définition de la falsification d'œuvres d'art
Qu'est-ce qu'un « faux en art » ? Si les réponses varient selon les théoriciens et les philosophes de l'art, l'accent est généralement mis sur la « tromperie ». L'expert britannique Ian Heywood affirme que la « tromperie délibérée » est au cœur de la falsification d'œuvres d'art. La définition du philosophe américain Nelson Goodman est peut-être la plus influente : « un faux d'une œuvre d'art est un objet qui prétend faussement avoir l'histoire de la production requise pour l'original (ou un original) de l'œuvre ».
En fait, si la « tromperie » concerne l'intention du créateur, la « fausse attribution » doit également être prise en considération. De nombreux faux ne sont pas le fruit d'une tromperie délibérée de la part de leurs créateurs, mais plutôt d'erreurs commises par les évaluateurs. En ce sens, l'accent mis par Monroe Beardsley sur la « ressemblance » est plus pertinent : « Plus un faux est réussi, plus il ressemble à l'œuvre originale de l'époque ou à l'artiste qu'il imite ». Sans ressemblance, il n'y aurait ni fausse attribution ni tromperie.
Toutefois, cette ressemblance pose des problèmes d'interprétation à l'esthétique et à la théorie de l'art. Le système conceptuel moderne de l'art et de l'esthétique, centré sur les arts visuels, a une tradition explicite de visualisation. La ressemblance entre les faux et les originaux étant essentiellement visuelle et superficielle, des questions se posent : Pourquoi les originaux et leurs contrefaçons sont-ils traités si différemment alors qu'ils semblent identiques ? Ont-ils une valeur esthétique différente ?
Han van Meegeren s'est tourné vers la falsification pour se venger des critiques d'art qui avaient rejeté son propre travail. Si ses faux ont été largement salués lorsqu'ils étaient considérés comme des chefs-d'œuvre de Vermeer et d'autres peintres renommés, ils ont été retirés des musées une fois qu'ils ont été identifiés comme des faux. Pour les critiques d'art, reconnaître et louer les techniques de falsification exquises de van Meegeren revenait à nier les critiques antérieures de ses œuvres.
La valeur esthétique ou artistique
Deux écoles de pensée se distinguent dans le débat sur la différence de valeur esthétique entre les originaux et les faux. La première, connue sous le nom de « formalisme », adhère au concept kantien d'« autonomie de l'art », soutenant que les qualités esthétiques d'une œuvre d'art résident uniquement dans les caractéristiques perceptives qu'elle présente, telles que la couleur, les lignes et la composition, indépendamment de l'intention du créateur, de la tromperie du faussaire ou d'autres facteurs externes. Par conséquent, si un faux est impossible à distinguer de l'original à l'œil nu, ils possèdent la même valeur esthétique. Parmi les formalistes les plus connus, on peut citer Clive Bell, Monroe Beardsley et Arthur Koestler.
La seconde école, le « contextualisme », préconise de comprendre les œuvres d'art en relation avec des contextes externes, en particulier leurs origines. Les figures de proue de cette école, telles que Nelson Goodman, Arthur Danto et Meyer Schapiro, malgré leurs interprétations divergentes du « contexte », intègrent des facteurs externes dans la valeur esthétique, plutôt que d'adopter l'approche formaliste consistant à attacher une valeur esthétique uniquement à l'apparence des œuvres d'art.
Les formalistes et les contextualistes reconnaissent tous deux que les œuvres d'art falsifiées possèdent une valeur esthétique. Pourtant, si les faux et les originaux ont la même valeur esthétique, comme le pensent les formalistes, pourquoi les faux sont-ils exclus des musées ? Si les contextualistes peuvent répondre à cette question, leur perspective est en contradiction avec la tradition de l'art moderne centrée sur le spectateur.
L'esthéticien Tomas Kulka suggère que ce dilemme théorique résulte de l'amalgame entre la valeur artistique et la valeur esthétique des œuvres d'art. Prenons l'exemple des Demoiselles d'Avignon de Picasso. Si beaucoup ont d'abord été déçus par le tableau, il est aujourd'hui salué comme une œuvre révolutionnaire. Selon Kulka, son importance ne réside pas dans sa valeur esthétique, mais dans ses implications pour l'histoire de l'art : elle rompt avec la tradition et annonce une nouvelle ère. Kulka propose donc de séparer la valeur esthétique de la valeur artistique. Si les contrefaçons d'œuvres d'art peuvent avoir une valeur esthétique considérable, leur valeur artistique est essentiellement nulle. Cette distinction explique également pourquoi de nombreuses personnes achètent sciemment des faux : elles sont attirées par l'attrait esthétique du faux.