Interviewé : Wang Chunguang
Intervieweur : Journaliste de l’Académie des Sciences sociales
Note du rédacteur : Ces dernières années, le travail social s’est mis en place en Chine, mais il reste encore préliminaire et même inconnu du public. On a pu noté que dans les espaces urbains, avec un développement rapide des activités économique, politique, sociale et culturelle, le travail social a pris forme graduellement et a remporté certains succès. Cependant, le travail social rural reste encore absent. D’un point de vue générale, beaucoup de problèmes sociaux restent à régler à la campagne, tels que l’imprécision des responsabilités des administrateurs, le retard du développement économique, le déclin du transfert culturel, la dégradation de l’environnement écologique et les rapports tendus entre les cadres et la population. Un système du travail soicial s’appuyant sur les compétences professionnelles pourra justement aider les groupes vulnérables et résoudre ces problèmes sociaux.
À la conférence de presse de clôture de la session de l’Assemblée populaire nationale, le Premier ministre Li Keqiang a souligné : « il faut attribuer au marché et à la société ce qu’ils peuvent prendre en charge ». On peut donc en conclure que le gouvernement soutiendra et promouvra un travail soicial professionnel pour qu’il s’introduise au sein des régions rurales et devienne la force principale pour assurer le développement et la stabilité sociale de la campagne.
Sur ces questions de travail social rural, nous avons interviewé le 22 mars 2013 Wang Chunguang, directeur du bureau de recherches sur les politiques sociales de l’Institut des études sociologiques de l’ASSC.
Sur l’interviewé :
Né en mars 1964, le docteur Wang Chunguang est diplômé du Centre de formation des aspirants chercheurs de l’ASSC en 1994. Actuellement, il est chercheur titulaire à l’Institut des études sociologiques de l’ASSC, directeur de thèse, directeur de bureau de recherches en politique sociale et directeur adjoint du Centre de recherche sur la politique sociale de l’ASSC, ces principaux domaines de recherches sont la structure sociale, la sociologie rurale et la mobilité sociale.
Journaliste : Pourriez-vous nous présenter la situation générale actuelle du travail social rural de notre pays ? Quelles en sont les accents de ce travail?
Wang Chunguang : Le travail social en Chine se concentre surtout en ville, par exemple dans les communautés urbaines, les maisons de retraite, les hôpitaux, et dans la correction des adolescents du quartier. La campagne est plutôt négligée. Le travail social rural, encore en phase naissante, a été initié assez tardivement et ne bénéficie pas de l’attention suffisante alors que la demande en ce domaine est plus importante dans les régions rurales que dans les espaces urbains.
Actuellement, certaines universités, institutions de recherche et organisations non gouvernementales ont fait des expériences à la campagne. L’Université du Yun Nan, l’Université Zhongshan, l’Ecole normale supérieure du Hu Nan et l’Université du Jiang Xi ont établi des bases du travail social et ont financé la recherche, l’enquête et la formation, afin de promouvoir le développement régional dans tous ses aspects. Mais la formulation d’un système et d’un modèle global fait encore défaut. Actuellement, les pratiques générales sont de vulgariser les politiques gouvernementales, de coordonner de différentes relations locales, et d’aider les paysans à fonder des coopératives agricoles. Nous en sommes encore à un stade exploratoire et parcellaire. Je connais une ONG qui a fait beaucoup de travail social dans la Province du Guizhou, mais ses pratiques sont loins d’être généraliséés dans le reste du pays.
La professionnalisation des personnels du travail social est le pivot de notre réussite.
Dans les années quatre-vingt-dix du siècle dernier, le travail social a été introduit en Chine. Beaucoup d’universités ont établi des départements tout en formant de nombreux professionnels, mais cela ne suffit pas à répondre à la demande. D’abord, le manque de professeurs pose des problèmes d’organisation des enseignements ; puis, la professionnalisation se révèle assez lente, de nombreux étudiants délaissent l’instruction reçue à l’université pour plusieurs raisons : une faible visibilité de ce champ professionnel dans la société ; peu d’expérience pratique et opérationnelle ; des salaires assez bas. En conséquence, peu d’étudiants diplômés en travail social s’engagent dans les filières de ce secteur professionnel tandis que d’autres ne le considèrent que comme un tremplin et une transition vers un autre métier. La fuite des talents dans ce domaine est très grave.
Le Département de l’Organisation du CC du PCC a fait un plan de formation de trois millions de travailleurs sociaux, mais il n’a pas précisé le processus de professionnalisation, ni les secteurs qui ont besoin des travailleurs sociaux. L’Etat a promulgué les critères de compétences du travail social, mais n’a pas créé les postes correspondantes. Donc les certificats des travailleurs sociaux ne visent pour beaucoup qu’à la promotion professionnelle ou à l’augmentation des revenus. Il faut que le gouvernement oriente le domaine de travail social selon trois axes : les départements administratifs, les ONG et les services payés par l’Etat.
La professionnalisation du travail social doit se moduler selon trois points : d’abord, il faut élever le niveau de professionnalisation du travail social, y compris l’édification institutionnelle, la planification, la création d’emplois et un système de rémunération adéquate. L’organisation fonctionnelle des départements gouvernementaux devra prendre en considération le rôle et les talents des travailleurs sociaux, ainsi qu’une grille salariale appropriée pour favoriser les perspectives de carrière et créer les emplois dont notre pays a besoin dans les domaines éducatifs, sanitaires, etc. et aussi pour mieux soutenir les établissements publics et les écoles supérieures. Les modalités d’intervention du travail social au sein de domaines comme l’aide sociale, les services funèbres, l’assistance aux populations indigentes, requièrent un personnel compétent et professionnel. Ensuite, il est nécessaire de préciser de manière astreignante les conditions de recrutement et de compétence propres à ce secteur. Enfin, un certain nombre de ressources doivent être mobilisées.
En plus, le gouvernement doit intensifier l’application des orientations pour que la population puisse comprendre et reconnaître le travail soicial comme fondé. Il faut pour cela renforcer la formation et encourager l’initiative locale et l’auto-organisation de la gestion sociale en lien avec l’administration et les services sociaux. On doit ensuite dégager des voies coopératives plus étroites avec les organisations d’intervention sociale par les achats publics nationaux. Enfin, la vulgarisation à travers les médias de la presse, de la radio, de la télévision et de l’internet doit éclairer les masses quant au travail social. On peut en ce sens établir un parallèle avec la discipline sociologique qui lors de son introduction comme outil de gestion sociale a suscité des interrogations et des malentendus auxquels il a fallu patiemment répondre pour que son champ d’application scientifique soit reconnu par la population. La diffusion et la généralisation des connaissances favorisent les évolutions cognitives et la constitution d’une reconnaissance générale du travail social qui en Chine, se situant encore en phase initiale, rendent l’intervention et les orientations gouvernementales nécessaires. L’institutionnalisation, l’élaboration des politiques et l’investissement doivent être soutenus. D’ici dix ans, les gens auront peu à peu une compréhension entière de travail soical et seront mieux à même de participer à leur organisation et à la résolution des problèmes sociaux, en premier lieu desquels l’assistance aux personnes défavorisées.
Les interrogations et le champ de recherche sont plus vastes en milieu rural qu’en milieu urbain. Ainsi devons-nous circonscrire les demandes des populations affligées, définir les modalités de réduction de la pauvreté, présenter des modèles d’organisation et de développement économique. Ces questions sont trop longtemps restées sans réponse. Nous devons miser sur le capital humain pour promouvoir le travail social et résoudre les problèmes comme ceux rencontrés par les personnes âgées, les enfants, et les femmes vivant seules à la campagne. Comment les aider dans la vie quotidienne ? Est-ce que les étudiants diplômés en travail social peuvent-ils prendre en charge l’administration des villages ? Nous devons sérieusement faire face et réfléchir à toutes ces questions pour mettre en œuvre des projets innovants d’intervention sociale au sein des espaces ruraux.
Journaliste : Depuis 1949, tout programme de réforme des campagnes découle d’une mobilisation sociale et populaire initiée verticalement par le système administratif. Quel changement des systèmes et des modes de travail pousse à la réforme au 21e siècle ? Quel est rôle actuel joué par le système administratif local et les organisations rurales autonomes dans la mise en pratique du travail soical ? Quels sont les problèmes rencontrés durant ces processus ?
Wang Chunguang : Depuis les politiques de réforme et d’ouverture, le gouvernement a déployé la mise en application dans les zones rurales d’un système de responsabilités forfaitaires sans cependant intervenir directement dans l’administration économique rurale et la sphère publique des affaires sociales. L’économie rurale ne peut se développer que dans une relation d’interdépendance avec le marché. L’administration des affaires rurales se limite principalement à des prélèvements obligatoires alors que les services sociaux nécessaires font défaut. La pression dont souffrent les paysans leur fait abandonner l’agriculture pour se tourner vers le travail en ville. Dans les années 90, les écarts entre villes et campagnes se sont élargis, et nous avons pris conscience de l’âpreté de la vie à la campagne, de la pauvreté des paysans et des risques de ce métier. De nouvelles directives ont été prises comme la suppression des prélèvements obligatoires, le reboisement de terres cultivées, la mise en jachère de pâturages, la subvention du secteur agricole et des orientations favorisant le monde paysan tels que l’investissement dans les infrastructures, l’éducation gratuite et obligatoire ou les systèmes de santé coopératifs. De fait, on constate que notre gouvernement a finalisé ses rôles et ses fonctions tout en dépendant de l’évolution du monde rural et de leurs interactions.
À présent, le gouvernement accroît son effort en faveur de l’administration sociale et des services sociaux dans les zones rurales, mais l’autogestion demeure impossible en raison d’un manque de conscience d’autonomie des paysans. En même temps, le gouvernement des cantons et des bourgs intervient excessivement par le contrôle de la rémunération des cadres, de l’administration financière et de la distribution des ressources, ce qui en réalité déroge à la loi organique des villageois. Le comité des villageois devient ainsi une sorte d’organisation administrative qui nuit à une gestion autonome par les paysans. À titre d’exemple, les paysans n’ont aucun pouvoir de décision concernant la réquisition des terres, leur affectation, démantèlement ou fusion. Les droits des paysans ne sont pas protégés efficacement. Aussi on retrouve de nombreux paysans quittent la campagne pour chercher du travail en ville. De plus, en 2012, les finances centrales ont investi environ 1.2 milliards de yuans pour soutenir l’agriculture, les régions rurales et les paysans, mais ces investissements incluent également les fonds pour les écoles agricoles et les institutions de recherches, ce qui ne laisse qu’un tiers de cette affectation budgétaire aux paysans. Par contre, ces deux dernières années, les fonds provenant de la cession foncière ont rapporté environ 3 milliards chaque année. Ces deux chiffres démontrent les contradictions entre les promesses du gouvernement de soutenir plus et de taxer moins l’agriculture et la réalité. Les inégalités entre développement urbain et rural risquent ainsi de se creuser. Des questions comme un contrôle des prix par l’État assignant des prix planchers et plafonds aux produits industriels et agricoles n’ont pas encore été traitées.
De par une administration lourde et une autogestion défaillante, la mise en œuvre du travail social se révèle difficile. Le comité des villageois demeure encore une organisation polyvalente de base qui perpétue un système obsolète propre aux habitudes des communes polupaires qui prennent en charge diverses responsabilités comme la production agricole, le développement économique, le maintien de l’ordre public, les services administratifs ou l’organisation de miliciens. En réalité, ce sont les dirigeants des comités et l’élite rurale, qui décident de l’allocation des ressources ou de l’attribution des rôles d’intervention politique. Pourtant, ni les premiers, ni la seconde ne sont en mesure d’assumer l’exhaustivité des affaires publiques.
Bien qu’en milieu rural existe une demande urgente de services sociaux spécialisés, la conscience du travail social est loin généralisée et elle a du mal à s’enraciner et à promouvoir la demande du travail social spécialisé. Le système et la situation actuels ne favorisent pas l’intervention et le développement du travail social.