Le pichet Gui : un trésor préhistorique de la Chine
2021-09-29 14:32:00
Zhao Yanjiao

   

  Deux pichets Gui en céramique blanche datant respectivement de la période de Dawenkou (à gauche) et de la période de Longshan (à droite)  Photo d'archives

  Lorsqu'on parle de la poterie de la culture Longshan (vers 2500-2000 avant J.-C.), notre esprit se porte généralement en premier sur la poterie en coquille d'œuf dont on dit qu'elle est "aussi fine qu'une feuille de papier, aussi dure que la porcelaine, aussi brillante que la laque, et qui sonne comme la note d'un qing, le carillon de pierre utilisé comme instrument de percussion dans la musique chinoise ancienne". Bien que les céramiques de Longshan étaient principalement noires, quelques artefacts en céramique déterrés comportent d'autres couleurs, comme le gris, la terre cuite, le brun, et une rare poterie blanche fabriquée en kaolin (argile blanche) chauffé à environ 1 200 °C. Des récipients en céramique sous forme de tripodes ont également été trouvés en différentes couleurs, bien que, là encore, la plupart d'entre eux soient noirs. Il est intéressant de noter que la précieuse poterie blanche n'a été trouvée que sous la forme de pichets gui, un type unique de récipient en céramique. 

  Origine du pichet Gui

  La première découverte des pichets gui a eu lieu sur le site de Chengziya dans la province du Shandong, un site néolithique de la période la culture Longshan, fouillé en 1928. Le pichet gui est caractérisé par un col évasé pincé pour former un bec à longue pointe, une poignée et trois pieds creux et tubéreux se terminant en pointe. Ce type de récipient singulier en céramique a été nommé "gui" par les archéologues qui les ont trouvés à Chengziya, conformément au dictionnaire Shuowen Jiezi de la dynastie des Han. Le terme "gui" est une entrée du Shuowen Jiezi, décrivant un récipient fu (un type d'ustensile de cuisine) à trois pieds, avec une poignée et un bec verseur. Cette description correspond parfaitement aux pichets tripodes mis au jour. Par la suite, divers pichets gui ont été exhumés sur des centaines de sites archéologiques à travers le pays. Ces pichets sont vieux d'environ 4 000 à 6 500 ans. La plupart des pichets gui découverts remontent à la période de la culture Dawenkou (vers 4500-2700 avant J.-C.). Les experts estiment que ces récipients sont originaires de la région de Haidai (qui désignait historiquement la zone située entre la mer de Bo et le mont Tai dans la province du Shandong), où se sont succédé différentes cultures néolithiques, notamment la culture Dawenkou, et cela bien que des pichets gui aient été découverts dans de nombreuses autres régions du pays.

  Par rapport aux autres céramiques, les pichets gui sont plus sophistiqués. Pendant de nombreuses années, ils ont attiré l'attention grâce à leur design distinctif. Ce design a été progressivement modifié au fur et à mesure de son utilisation par les peuples anciens, et la forme a continué à évoluer avec l'ajout de nouveaux éléments.

  Au début du Néolithique, avec le développement de l'agriculture primitive et l'augmentation des besoins quotidiens, les gens avaient naturellement besoin d'ustensiles de cuisine et de table semblables à ceux d'aujourd'hui. Sur le site de Xihe, un site archéologique situé près de Chengziya, les archéologues ont découvert un récipient en poterie fu vieux d'environ 7 000 à 8 000 ans. Il s'agissait d'un récipient à fond rond. Les experts supposent que ce récipient fu a pu être modelé d’après la forme d'un ustensile de cuisine fabriqué à partir d'une plante, comme une écope à eau fabriquée à partir d'une gourde. Les récipients végétaux ont été imités et remplacés par des céramiques, car celles-ci étaient plus dures et pouvaient être placées directement sur le feu sans craindre de se fissurer. Mais il y avait un problème : ces ustensiles à fond rond étaient difficiles à équilibrer sur des surfaces planes. Les gens ont donc commencé à tenir droit les récipients fu en plaçant trois pierres directement en dessous. La découverte de la stabilité d'un triangle et son application à l'utilisation de la poterie constituent sans aucun doute une nette amélioration apportée par nos ancêtres.

  Cependant, les formes irrégulières des pierres n'offraient pas toujours une stabilité suffisante. Les peuples primitifs ont donc fabriqué trois supports réguliers pour maintenir droit les récipients de cuisson. Pour éviter de devoir repositionner les pieds à chaque fois qu'ils cuisinaient, une autre adaptation a eu lieu, à savoir qu'ils ont fixé trois pieds directement sous leurs ustensiles de cuisine. La conception "à trois pieds" ne tenait pas seulement compte de la nécessité pratique de soutenir le récipient, mais reflétait également les savoir-faire techniques des anciens, qu’on observe notamment par l’équidistance entre les pieds. Après avoir résolu les problèmes de stabilité et de chauffe, une poignée a été ajoutée pour éviter les brûlures lors de la cuisson des aliments. On pense que les peuples primitifs ont encore amélioré cet ustensile de cuisine en étirant et en pinçant le col du récipient pour former un bec verseur pointu afin d'éviter de verser à côté. Dans le développement ultérieur des pichets gui, pour améliorer leur efficacité thermique, les trois pieds étaient parfois creusés. Ils étaient alors nommés daizu (littéralement "pied de poche"), indiquant que la partie interne aux trois pieds devenait une partie intégrante du récipient terminé. Ce changement a non seulement augmenté le volume du récipient, mais a également formé une plus grande surface pour transférer la chaleur au contenu, visant à accélérer le processus d'ébullition, faisant d'une pierre deux coups. La magnifique transformation de la poterie fu en poterie gui a très probablement été accomplie au cours de la période Dawenkou.

  Culte des oiseaux

  Au cours de la période Longshan, l'industrie de la céramique a fait un bond en avant qualitatif grâce à la maturité et à la prévalence de la nouvelle technologie à roue rapide. De nombreux objets en céramique avaient une forme soignée, et certains avaient été polis de nombreuses fois. Un pichet gui en poterie blanche découvert sur le site de Chengziya, daté de la période Longshan, a été fabriqué à partir de kaolin. Il ressemble à un oiseau regardant vers le ciel, prêt à s'envoler. Les experts pensent que ce motif en forme d'animal était associé au culte des oiseaux propre à la région de Haidai.

  Le culte des oiseaux était répandu chez les anciennes tribus Dongyi (les populations locales de la partie orientale de la Chine dans l'Antiquité) qui vivaient dans la région de Haidai. Les experts ont avancé deux théories pour expliquer l'émergence du culte des oiseaux : le "culte de la fertilité" et le "culte phénologique". Compte tenu de la proximité de Haidai avec la mer et du développement primitif de l'agriculture, le culte des oiseaux (principalement des oiseaux migrateurs) par les anciens Dongyi pourrait provenir de la nécessité de programmer la production agricole. Le culte des oiseaux était complètement intégré à la vie des Dongyi. Il n'est donc pas surprenant qu'ils aient fabriqué des poteries en forme d'oiseaux.

  Gao Guangren et Shao Wangping, deux archéologues chinois, ont recueilli des informations sur les pichets gui découverts avant les années 1980. Ils ont systématiquement trié et rassemblé les informations sur les pichets gui. Ces deux experts ont souligné qu'il y a plus de 5 000 ans, les pichets gui étaient exclusifs à la région de Haidai, alors dominée par la culture Dawenkou. Plus tard, au fur et à mesure des interactions et communications avec les cultures environnantes pendant plus de mille ans, les pichets gui ont finalement été adoptés et transformés par d’autres cultures. À ce moment-là, ce style de céramique n'était plus un "produit local" de la région de Haidai. Il est particulièrement intéressant de mentionner que même aujourd'hui, alors que les matériaux archéologiques sont si abondants, des motifs céramiques aussi particuliers n'ont été trouvés dans aucun autre pays qu’en Chine. En ce sens, les pichets gui peuvent être considérés comme un élément unique de la culture préhistorique chinoise. Après les dynasties Xia (vers 2070-1600 avant J.-C.), Shang (vers 1600-1046 avant J.-C.) et Zhou (vers 1046-256 avant J.-C.), les objets en bronze ont été au centre de la culture rituelle et musicale (liyue wenhua), et les hé, récipients en bronze à trois pieds dérivés des pichets gui, ont été utilisés pour servir de l'alcool et sont devenus ainsi importants pour les rituels des dynasties Shang et Zhou.

  

  

  Zhao Yanjiao est chercheuse associée à l'Institut d'Histoire de l'Académie des Sciences sociales du Shandong.

 

 

 

 

Source : Chinese Social Sciences Today

Traduit par Zhao Xin

 

 

Edité par  Zhao Xin